Type d'appel et date limite
Date limite :

Fabriquer les années 1990

L’émergence de la société postsoviétique à travers sa culture matérielle

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Chercheur(s) associé(s) Francoise Daucé Sophie Lambroschini
Tambov, 2000 © F. Leturcq

Appel à communication

Colloque international

Paris, 8-9 mars 2022, avec le soutien du Centre d'études des mondes russe, caucasien et centre-européen (CERCEC - EHESS / CNRS)

Langues du colloque : français, anglais et russe

Ce colloque interdisciplinaire propose d’explorer les dynamiques sociales des années 1990 à travers les transformations de la culture matérielle. A l'époque, le quotidien a été transformé à la fois par la disparition du système soviétique, l’irruption du marché, et l’ouverture sur le monde. Ce colloque permettra de mieux comprendre la période de désagrégation du système soviétique au prisme de l’inventivité des acteurs ordinaires pris dans un état d’incertitude qui réagissent et s'adaptent par leur inventivité matérielle. La transformation des choses et des biens hérités de la période soviétique ou nouvellement introduits par l'ouverture politique et économique du système a généré de nouvelles interactions entre humains et objets, transformant les relations sociales dans la durée et contribuant à structurer les rôles dans la société. L’approche matérielle permet de combiner l’univers matériel (objets, biens de consommation mais aussi immeubles et infrastructures techniques) avec les 2 interactions sociales. il permet d'accéder à l'intimité ordinaire des arrangements qui rendent la vie quotidienne "vivable" en des temps incertains. Autour de ces questions, le colloque permettra un dialogue interdisciplinaire entre histoire, sociologie, anthropologie et économie.

Une décennie perdue ?

Perceptions ordinaires et analyses académiques La dévalorisation de la décennie 1990 aux yeux des acteurs postsoviétiques la voue souvent à l’oubli, au refoulement ou au rôle d’épouvantail politique tant ces années ont marqué les sociétés en négatif. La déception a été à la hauteur des attentes démocratiques et libérales, des espoirs d’une prospérité généralisée et d’une modernisation par la voie du marché. “Les années 1990” ont été si mouvementées et fébriles, si équivoques et incertaines pour les sociétés postsoviétiques que leur narration populaire et politique est écartelée entre des représentations dichotomiques, d’une époque de débridation morale et légale (“lykhie 90”), d’une part, et celle, d’autre part, d’un vécu libéral (“ostrov svobody”), alors que dans d’autres sociétés postsoviétiques, la lecture est celle d’une époque nation-building, ou de sortie (du communisme) et d’entrée (européenne) comme dans les pays baltes. Cette décennie, aux contours chronologiques fluides, a été, entre désagrégation de l’ordre social soviétique, irruption du “marché”, et échafaudage plus ou moins cohérent d’ordres “post-” divers, une période de processus sociaux, politiques, et économiques fondatrice des dynamiques des années 2000 en Russie, Bélarus, dans les pays baltes, en Asie centrale, ou au Caucase.

Qu’il s’agisse de traumatismes comme les guerres sur les territoires ex-soviétiques, ou ceux, autrement violents d’effondrement social, c’est la certitude au sens large qui échappe aux populations : perte de repères, de visibilité dans la vie quotidienne, de raccourcissement des horizons d’attente, le monde est devenu incertain. De nombreux travaux d’anthropologie économique et culturelle portant sur l’espace postsoviétique explorent la gestion de ces états d’incertitude du point de vue de l’adaptation des pratiques et des stratégies de survie économique, de pratiques culturelles, de consommation, de régulation étatique, de propriété (Morris 2016, Verdery 1999 et 2013, Allina-Pisano 2008, Hann & Gudeman 2015a 2015b). Le regard politiste permet de faire le lien entre les années 1990 et la légitimation de régimes autoritaires et étatistes. L’incertitude existentielle des populations a été couramment analysée comme génératrice d’une demande sociale “d’ordre” et comme fondement du contrat social poutinien (Garrigues, Rousselet 2004, Cook and Dimitrov 2011, Feldmann and Mazepus 2017). La recherche académique a analysé notamment le poids des héritages du passé et les adaptations dans un contexte d’effondrement de l’ordre social (cf. bibliographie et références) sans avoir été pour le moment contextualisées comme inscrites dans des processus et dynamiques matérielles plus vastes. Depuis la perspective académique, les populations sont analysées comme prises dans “une liminalité permanente” (Szakolczai 2014), contraintes à réinventer en boucle continue une “nouvelle normalité” par la médiation des pratiques mais aussi des objets du quotidien (Maček, 2016).

Une période à inventer ? Créativité et révolution dans les rapports sociaux aux choses

S’appuyer sur l’analyse des “années 1990” par le prisme de la liminalité permet d’avancer l’hypothèse d’un état d’incertitude comme celui d’une grande créativité ou d’inventivité, mobilisée par les acteurs pour s’assurer un semblant de maîtrise sur leur état et sur leur horizon d’attente (Thomassen et al. 2015). Dès 2000, l’anthropologue K. Verdery avait décrit l’introduction des rapports de marché et la propriété privée comme novatrice. Les années 1990 signifient une révolution dans le mode de penser et d’interagir au point de toucher aux “fondements de ce que constitue une personne”, à travers la relation nouvelle qu’elle établit entre la personne et la chose possédée (Verdery, 2000). En effet, la dimension matérielle, souvent visuelle et esthétique, de la rupture par rapport au passé est très apparente, qu’il s’agisse de l’irruption de choses nouvelles avec les importations de biens de consommation, la transformation urbaine (dégradation ou esthétisation), la différentiation sociale, l’abandon de rituels ou de pratiques publiques soviétiques et l’introduction de nouveaux biens. Méritent également un regard frais, les dynamiques sociales autres que celles de légitimation politique, comme les transformations des entreprises, du rapport au milieu urbain ou naturel, de la gestion de la nouvelle propriété privée ou celle du bien public. Ainsi, certains travaux ont montré comment, dans un contexte de pénuries, les pratiques du “fait maison” et du bricolage ont créé un rapport particulier aux choses, constitutives du “sujet soviétique” (Golubev 2020, Gerasimova 2004). On peut s’interroger sur la façon dont la créativité matérielle dans le quotidien soviétique interagit avec celui forgé dans les conditions de marché.

On peut faire l’hypothèse que les choses perdues, réparées, partagées, inventées ou adaptées, au cours de cette période, constituent autant de fenêtres sur les ordres sociaux soviétiques, transformés, et qui perdurent au-delà de cette période. Ce colloque propose de saisir cette dimension d’inventivité et de matérialité comme perspective dans sa profondeur historique pour explorer les années 1990 traitées comme un espace temporel de créativité sociale et observer quelles nouvelles solidarités ont ainsi émergé durablement. Il propose de renouveler les recherches actuelles sur l’informalité, l’entrepreneuriat, le marché, la société civile mais aussi les médias, la culture... pour aller plus loin en cherchant à comprendre quelles nouvelles interactions ou solidarités sociales émergent autour des “nouveautés” matérielles dans l’ensemble de l’espace postsoviétique.

L’appel à communications

Avec un recul désormais historique de près de trente ans, ce colloque propose donc une relecture moins normative, plus empirique, au plus proche des personnes et de leur culture matérielle. Il s’agit d’approcher les années 1990 comme champs de transformation des liens sociaux issus de l’ordre soviétique autour des transformations et des innovations techniques qui marquent l’époque, contribuant à la défabrication des réseaux anciens et à l’élaboration de liens nouveaux. Le matériel représente, au travers d’objets nouveaux ou transformés, des univers sociaux qui font (ou non) le lien avec le contemporain. Quelques pistes thématiques, non exhaustives, se dessinent qui pourront inspirer les propositions d’intervention autour des processus de transformation des relations sociales à l’épreuve des biens matériels :

- Défection : les pannes, les abandons, les fermetures, les dégradations, les accidents, la casse, les destructions, la désindustrialisation, le dépeuplement, la gestion des nouveaux 4 communs et leur défaillance (à l’exemple du pod’ezd, de l’approvisionnement, de la distribution et des coupures d’eau et d’électricité ou de la vie dans le noir (Tbilissi, Alma-Ata, Douchanbé, etc.))

- Réparation : les objets dans le bricolage, les reconversions, les réemplois, les partages, la gestion de la pénurie et l’entraide (à la lumière d’exemples aussi divers que la rénovation des aires de jeux pour les enfants, la distribution de vêtements aux réfugiés ou la prolifération des monts de piété (lombard))

- Exploration : les nouveaux lieux, les nouveaux biens de consommation et d’équipement, les nouveaux équipements et façon d’en user, l’invention, la circulation et la consommation de biens et produits, le commerce “à la valise” (allant de l’arrivée des produits de consommation courante turcs puis chinois (hygiène, vêtements, ustensiles) aux premiers ordinateurs en passant par la consommation de drogues et de produits frelatées). Ces explorations concernent aussi la révolution de l’intimité, du rapport au corps et du rapport au genre (hygiène intime féminine, sexualité, sensualité...), les nouvelles esthétiques (video-salon, médias et publicité) et les expériences de sens (shanson, odeurs, goûts)

- Conflits : les objets pris dans les conflits de revendication, d’appropriation, ou d’expropriation (autour des appartements ou des biens de production convoités, des ressources industrielles ou des biens de sécurité)

La dimension visuelle du colloque pourra être renforcée par le recours à des apports video, photo ou audio. La réflexion sur les sources (archives publiques et privées, témoignages, entretiens…) pourra aussi fait l’objet de communications afin d’historiciser les années 1990.

Soumission des propositions

Les propositions de communication devront être envoyées avant le 1er mai 2021. Elles devront inclure les éléments suivants :

- titre

- résumé (500 mots)

- Nom de l'auteur, affiliation et courte présentation biographique (150 mots) dans le corps du message.

La sélection des propositions aura lieu dans le mois suivant et les auteurs recevront une réponse concernant leur proposition au mois de juin.

Les auteurs des communications sélectionnées devront confirmer leur participation au colloque prévu à Paris les 8 et 9 mars 2022 à la mi-octobre 2021.

Ils devront transmettre le texte de leur communication (entre 7000 et 10000 mots) avant le 15 décembre 2021.

Les propositions doivent être envoyées à Sophie Lambroschini (sophie_lambro@yahoo.com) et à Françoise Daucé (dauce@ehess.fr) en indiquant "Soumission Fabriquer les années 1990" dans l'objet du message.

Le colloque aura lieu à Paris les 8 et 9 mars 2022. Sur demande, des aides à la prise en charge des voyages et du logement des intervenants pourront être octroyées si nécessaire.

 

Comité d’organisation

Aurore Chaigneau, Université Paris-Nanterre

Anna Colin-Lebedev, Université Paris-Nanterre.

Françoise Daucé, EHESS-CERCEC, Paris

Gilles Favarel-Garrigue, Sciences Po CERI, Paris

Sophie Lambroschini, Centre Marc Bloch-Berlin, EHESS-CERCEC Paris

François-Xavier Nérard, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Isabelle Ohayon, CNRS-CERCEC Paris

Jean-Robert Raviot, Université Paris-Nanterre.

Sofia Tchouikina, Université Paris

 

Comité scientifique international

Roman Abramov, Higher School of Economics, Moscow.

Jessica Allina-Pisano, New School for Social Research, New York City.

Jan Behrends, Centre for Contemporary History, Potsdam Oksana Karpenko, Centre for Independent Social Research in Saint Petersburg.

Oleg Kharkhordin, European University at St Petersburg.

Jeremy Morris, Aarhus University.

Galina Orlova, Higher School of Economics, Moscow.

Sergei Oushakine, Princeton University, Princeton.

Abel Polese, Dublin City University.

Sylvia Serrano, Sorbonne University Abu Dhabi. 

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