A propos du Cercec

Historique

Le Centre d’études russes, caucasiennes, est-européennes et centrasiatiques (Cercec) est issu de l’ancien Centre d’études sur la Russie, l’Europe orientale et le domaine turc, fondé par Alexandre Bennigsen à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) dans les années 1960. Scindé en deux en 1995, ce laboratoire de recherche a donné naissance d’une part, au Centre d’histoire du domaine turc, d’autre part, au Centre d’études des mondes russe, soviétique et post-soviétique. Ce dernier a été associé au CNRS en 1999 avant de devenir Unité mixte de recherche (UMR) en 2001. Il a changé de nom en 2004 pour devenir le Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen (UMR 8083) afin de rendre compte de l’évolution des recherches menées en son sein.

Le Cercec aujourd’hui

Créé avec une forte dominante historique, le Centre d’études russes, caucasiennes, est-européennes et centrasiatiques est aujourd’hui un laboratoire pluridisciplinaire de recherche en sciences sociales. Il rassemble des historiens, des géographes, des politologues, des sociologues… Il accueille aussi des étudiants (master, doctorat) inscrits à l’EHESS désirant se spécialiser sur la vaste aire culturelle est-européenne.

Les spécialisations respectives des membres de l’équipe permettent de couvrir une longue période, allant du XVIIe siècle à nos jours, et un large espace qui s’étend de l’ancien « bloc socialiste » est-européen jusqu’au Caucase et à l’Asie centrale.

Fédérant des recherches très diverses, le Cercec est devenu, en France, le centre de recherche de référence dans son domaine.  Il est aujourd’hui membre du labex Tepsis.

Co-directrices : Masha Cerovic et Isabelle Ohayon

Secrétaire générale : Yadranka Krasevec

Nos axes de recherche pour 2019-2023

1 - Fronts et frontières d’Empire (16e – 21e siècles)

Cet axe porte sur les frontières de l’empire russe ou de l’URSS et implique donc une dimension transnationale et comparative avec les empires voisins rivaux. L’un de ses fils conducteurs est l’étude de l’élaboration et de l’usage de savoirs entrecroisés : religieux, militaires, diplomatiques, ethnographiques, administratifs.

Les pratiques d’échanges matériels et immatériels, de négociations et de communications interculturelles

Les pratiques d’échanges matériels et immatériels, de négociations et de communications interculturelles sont au cœur de plusieurs projets de recherche. Il s’agit notamment d’étudier des sociétés d’empire à travers les relations intra- et intercommunautaires dans un même empire, de part et d’autre de la frontière, ou en diaspora : entre Juifs et Arméniens dans l’Empire ottoman notamment à partir des archives de l’Alliance israélite universelle ; entre Arméniens et Azéris au Caucase russe ; entre les Caucasiens dans l’émigration autour de l’opposition à l’URSS (C. Mouradian). Marie-Karine Schaub, qui étudie la professionnalisation des diplomates au tournant des 17e-18e siècles, s’intéresse aux pratiques de négociation entre pouvoir et élites centrales et locales où se jouent des questions culturelles, politiques, internationales, essentielles pour comprendre aussi la construction de l’empire, à travers la structuration du langage et de pratiques communes permettant le dialogue, au-delà du moment guerrier. Radu Paun, dans un projet sur les États vassaux de l’Empire ottoman situés entre l’empire russe orthodoxe et l’empire des Habsbourg catholique, interroge la notion de communication culturelle entre des parties qui ne parlent pas la même langue, ni ne partagent les mêmes valeurs, d’où des négociations compliquées et des malentendus multiples. L’un des enjeux est d’analyser les pratiques de gouvernement aux frontières de l’Empire ottoman, le transfert et la mise en œuvre d’idées en miroir, le traitement des révoltes. Claire Mouradian projette une comparaison sur les pratiques administratives des trois empires qui se partagent l’Arménie au xixesiècle, à travers la biographie de trois hommes d’État d’origine arménienne, Loris Melikoff en Russie, Melkom Khan en Iran, Nubar Pacha dans l’Empire ottoman (Égypte), réunis au-delà des frontières par une volonté similaire de transformation des empires autocratiques en monarchies constitutionnelles. Des thèses d’Oykü Gurpinar sur la mémoire du génocide des Arméniens à l’école, avec une étude comparative des manuels d’histoire en Turquie, en Arménie et dans la diaspora, et d’Élodie Gavrilof sur la fabrique comparée de l’homo turcicus et de l’homo sovieticus dans les écoles arméniennes de la République turque et de l’Arménie soviétique s’inscrivent également dans cette problématique des négociations et des communications interculturelles, à travers notamment des projets pédagogiques.
Des travaux sur le patrimoine, avec des échanges et des circulations afférentes, se rapportent aussi à cet ensemble de questions. Le projet doctoral d’Ana Cheishvili sur la circulation des collections d’objets caucasiens constituées dans les musées français au fil des missions scientifiques françaises qui se sont multipliées au xixe siècle, a pour enjeu de reconstituer l’itinéraire de ces objets, d’étudier la biographie des « collectionneurs », les échanges avec les « collectionneurs » de l’Empire russe, et enfin l’apport de ces collections à la réflexion sur les transferts culturels et sur l’évolution comparative des sciences sociales aux xixe et au xxe siècles en France et en Russie, et plus largement en Europe. Ketevan Djavakhishvili a entrepris d’étudier pour sa thèse la fabrique du patrimoine géorgien depuis les années 1960, en Géorgie même, en retraçant les enjeux économiques et politiques, et en identifiant les acteurs, les politiques culturelles anciennes et nouvelles, avec leur dimension internationale. Astrig Atamian envisage un autre type d’échanges et de circulations, celle des marchandises de luxe entre l’Union soviétique et la France à partir du commerce du caviar dont l’entreprise Petrossian, fondée par des Arméniens originaires du Caucase, a eu le monopole et dont les archives lui ont été ouvertes.

Le facteur religieux dans l’affirmation et/ou la distinction politique des sociétés d’empire

Le facteur religieux dans l’affirmation et/ou la distinction politique des sociétés d’empire traverse un autre ensemble de projets, qu’il s’agisse du rôle joué par les différentes confessions comme opérateurs de frontières dans les confins orientaux de l’Europe contemporaine, ou au Caucase, du rôle comparé de l’institution ecclésiale arménienne dans les trois empires russe, ottoman et persan au xixe siècle entreprise par Claire Mouradian, comme une étape d’une histoire politique et sociale de l’Église arménienne à l’époque contemporaine tant dans le cadre des empires que de l’État national et en diaspora. Laurent Tatarenko poursuit un projet de cartographie des paroisses du xvie au xviiie s., en particulier en Ukraine. Les recherches de Radu Paun se développent sur deux axes. Le premier concerne les échanges des pays orthodoxes avec le Mont Athos et se propose de cerner les mécanismes et les enjeux de la dévotion. Le deuxième étudie les relations complexes entre les prophéties sur la ruine imminente de l’Empire ottoman et les mouvements anti-ottomans qui se sont produits dans les Balkans aux xvie -xiiie siècles. Elena Astafieva s’intéresse au rapport entre théologie, religion et politique dans la Russie impériale (fin du xviiie  s.-debut du xxe s.) à travers les processus de formation dans le système d’enseignement ecclésiastique du savoir « officiel » de l’Église russe sur « l’hétérodoxie » et sur l’orthodoxie, et de sa diffusion parmi une large population russe orthodoxe. Il s’agit ici de réfléchir à la manière dont ce savoir a été repris et mis en œuvre par le pouvoir impérial dans sa politique à l’intérieur (dans la gestion des « confessions étrangères », comme l’islam, le catholicisme, le protestantisme, etc.) et à l’extérieur de l’Empire, notamment en Palestine et Syrie, où la Russie s’impose comme grande puissance face aux pays européens. Pour la période très contemporaine, Silvia Serrano engagera une recherche sur l’islam en Fédération de Russie (notamment en Volga-Oural) en interrogeant la question du religieux en tant que « service public », à la fois du point de vue des dynamiques sociales et des réponses étatiques à celles-ci. David Abuladzé a engagé une thèse sur l’élaboration des politiques publiques de la Géorgie à l’égard de ses communautés musulmanes depuis l’indépendance, avec l’importance accrue de la question religieuse tant du fait de l’affirmation orthodoxe que des répercussions du contexte international, notamment de la guerre en Syrie dans laquelle certains membres de la minorité tchétchène du pays se sont engagés aux côtés de Daech et contre un allié de la Russie et peuvent revenir radicalisés.

Les savoir-faire guerriers et militaires

Les savoir-faire guerriers et militaires constituent un troisième objet de recherche au sein de cet axe. Masha Cerovic, élue maîtresse de conférences à l’EHESS en 2017, commence à explorer les guerres irrégulières menées par les Cosaques (comparés aux régiments hamidiye de l’Empire ottoman, formés sur leur modèle), et leur utilisation par le pouvoir pour conquérir et gérer les zones frontalières de l’empire, de la fin du xixe siècle à la révolution et à la guerre civile avec les armées rouges. La recherche doctorale de Lina Tsrimova, soutenue par une allocation du Labex Tepsis, analyse la construction de l’image du Caucasien par les militaires russes et l’arsenal de discours justifiant la violence tout au long de la conquête du Caucase, de la fin du xviiie siècle aux années 1860, et l’exode forcé des montagnards musulmans vers l’Empire ottoman. Une autre forme de guerre irrégulière est étudiée par Lusiné Navasartyan dont la recherche doctorale est consacrée aux volontaires arméniens dans l’armée russe sur le front du Caucase peu étudié de la première guerre. Ce projet porte sur la « mythologie » de ces volontaires, embryon de l’armée nationale, dans la reconstitution de l’État arménien. Les violences, fractures, mobilités forcées à la frontière caucasienne des deux empires ottoman et russe sont aussi au cœur des recherches de deux membres du laboratoire. Ainsi, Shivan Darwesh étudie dans sa thèse les migrations des Kurdes Yézidis sur le long xixe s., plus particulièrement vers le Caucase russe, tandis que Burak Oztas étudie la construction d’une nouvelle diaspora tchétchène consécutive aux récentes guerres, qui fait se rencontrer les anciens exilés des guerres du Caucase du xixe s. et ceux des conflits post-soviétiques.

Partenariats

École française de Rome
École française d’Athènes
Centre français de Jérusalem
Centre d’études en sciences sociales du religieux (Césor)
Centre d’Études Turques, Ottomanes, Balkaniques et Centrasiatiques (CETOBAC)
Centre de Recherches Historiques (CRH)
École Pratique des Hautes Études (EPHE)
Haut Collège d’Économie de Moscou
Centre d’Études Franco-Russe (CEFR) de Moscou

2 - Actions et normes. Pratiques sociales et économiques du 17e siècle à nos jours

Le programme de cet axe se concentre sur les dynamiques sociales – stratégies, négociations et capacités d’agir des groupes et des individus, médiatisées par des dispositifs administratifs, juridiques ou normatifs – sur une période de 4 siècles et un espace allant de l’Europe centrale et orientale jusqu’à l’Asie centrale, en passant par la Russie.

Peu d’actions individuelles ou collectives peuvent s’exercer dans une autonomie absolue envers les institutions. Les institutions, à leur tour, loin de s’imposer aux personnes comme des objets aux contours définis et définitifs, sont plutôt des magmas d’actions individuelles et collectives, tantôt conscientes et concertées, tantôt non intentionnelles et divergentes. Réunis par cette vision partagée, les chercheurs de cet axe en font le fil conducteur de leurs programmes de travail. Appartenant à plusieurs disciplines des sciences sociales, ils s’attachent à repenser les dynamiques sociales sur une période de quatre siècles et dans un espace allant de l’Europe centrale et orientale jusqu’à l’Asie centrale en passant par la Russie. Ils partagent une posture méthodologique dont les points forts consistent à privilégier, en premier lieu, une approche par le bas, avec une prise en compte des apports des études de cas et de la micro-histoire, et, en second lieu, à mobiliser ensemble des outils de l’histoire, la sociologie, l’anthropologie et la géographie. Ils croisent une histoire située et soucieuse des subjectivités avec une analyse macrosociale des régimes et des formes institutionnelles et juridiques adoptées par les différents États qui se sont succédé dans cet espace géographique.

Cette démarche implique une diversification des techniques d’enquête (lecture fine des archives, constitution de bases de données, entretiens et observation participante) et des sources (actes notariés, archives judiciaires et administratives, correspondances privées et politiques, archives de gestion économique des domaines, enquêtes, sources visuelles, etc.).
Cet axe s’organise autour de questions concernant les stratégies, négociations et capacités d’agir des groupes et des individus, médiatisées par des dispositifs administratifs, juridiques ou normatifs. L’objectif est d’éprouver l’hypothèse selon laquelle les processus associés traditionnellement à la résistance, à l’opposition,à l’autonomie et à la subversion seraient autant de phénomènes d’accommodement, d’appropriation, d’incorporation des logiques institutionnelles.

Les chercheurs de l’axe s’interrogent sur l’influence et les répercussions de ces phénomènes sur les normes elles-mêmes, sur leurs interdépendance et interpénétration. Dans un contexte de contraintes institutionnelles, volontiers répressif, ils analysent la notion de tolérance en étudiant les pratiques qui témoignent des écarts normatifs et révèlent la diversité des attitudes permissives : la tolérance comme outil pragmatique de surveillance, comme laxisme induit par l’impuissance, comme laisser-faire produit par la corruption, ou enfin comme valeur et pratique d’acceptation de l’altérité. L’étendue chronologique de l’axe doit permettre de prêter une attention particulière à la transmission de pratiques sociales, qui se déclinent dans des registres formel, informel ou rituel.

Institutions et pratiques juridiques et économiques

L’étude des institutions et pratiques juridiques et économiques comprendra des enquêtes sur des pratiques économiques illégales, qu’elles relèvent de la mobilisation foncière alors que la vente de la terre est interdite, aux 17e-18e siècles (Anna Joukovskaia), du vol de la propriété socialiste sous Staline (Juliette Cadiot), ou de la production agricole privée et de l’échange non régulé en Asie centrale dans les années 1960-1980 (Isabelle Ohayon), ainsi qu’une histoire longue des régimes de propriété et des modes d’exploitation de la terre à l’Est du continent européen au xxe siècle (Marie-Claude Maurel).

Pratiques familiales et sexuelles, genre et ordre moral

Des recherches sur les pratiques familiales et sexuelles, le genre et les représentations de l’ordre moral s’articuleront autour d’enquêtes sur le divorce et le remariage dans une société chrétienne orthodoxe au 18e siècle (Anna Joukovskaia) ; les trajectoires et les stratégies éducatives dans un grand lignage russe, les Golitsyne, au xviiie siècle (Wladimir Berelowitch) ; les répercussions de la transformation de la famille socialiste sur les pratiques parentales (Peter Hallama) ; les subjectivités homosexuelles durant la période soviétique tardive à la charnière d’autres identités – soviétique ou nationales (Arthur Clech) ; et la recomposition des liens familiaux et des rôles de genre en Géorgie suite au déclassement provoqué par la chute de l’URSS à travers les trajectoires migratoires féminines (Maroussia Ferry).

Projets

→ Projet de préfiguration TEPSIS « Les livres d’enregistrement d’actes : une source nouvelle pour l’histoire sociopolitique, institutionnelle et économique de la Russie à l’époque moderne », 2017-2019 (Anna Joukovskaia, Fabrice Demarthon)
→ Projet de préfiguration TEPSIS « Économie rituelle en socialisme : production agricole privée et économie des prestations rituelles en Asie centrale, 1960-1980 », 2017-2018 (Isabelle Ohayon)
→ Organisation d’un colloque international en langue anglaise du 2 au 3 février 2017 « Homosexualité communiste (1945-1989) », Université Paris Créteil – EHESS (Arthur Clech)
→ Organisation d’une journée d’étude, le 8 novembre 2017 : « Investir les rituels funéraires : politique et économie de la mort en Asie centrale xxe et xxie siècles », (EHESS, MAE Paris X-Nanterre) ; Organisation d’un workshop international consacré à l’économie rituelle en Asie centrale sur la longue durée, xixe-xxie siècles, automne 2018, suivi d’une publication collective (Isabelle Ohayon)
→ Organisation d’une journée d’étude internationale « Masculinités socialistes. Les hommes en Europe de l’Est – ruptures, transformations et continuités au xxe siècle », organisée par le CERCEC, avec le soutien du Labex EHNE et de la FMSH, Paris, 15-16 septembre 2017 (Peter Hallama)
→ Participation au Congrès du Study group on Eighteenth century Russia, Université de Strasbourg, 6-11 juillet 2018 : panel « Profiles of the Administrator » (Anna Joukovskaia) ; communication « The Koch brothers: Christoph-Wilhelm and Conrad-René, teachers of the Russian aristocracy in the time of Catherine the Great » (Wladimir Berelowitch)

Partenariats

Réseau FONCIMED, Thessalonique (Marie-Claude Maurel)
Zentrum für Zeithistorische Forschung, Potsdam (Peter Hallama)
Institut historique allemand de Moscou (Wladimir Berelowitch)
Université Paris-Créteil (Arthur Clech)
Labex EHNE (Peter Hallama)
FMSH (Peter Hallama)
Haut Collège d’Économie de Moscou
CEFR de Moscou
Maison de l’Archéologie et de l’ethnologie, Université de Paris-X Nanterre

3 - Sciences et techniques dans les arts du gouvernement

L’objectif de cet axe est de porter le regard sur les politiques des sciences, des techniques et des savoirs pour réexaminer les arts singuliers du gouvernement et les expressions de la domination dans l’espace soviétique et post-soviétique.

Afin d’enrichir l’analyse du pouvoir et du politique à la période communiste et postcommuniste, l’objectif de cet axe est de porter le regard sur les politiques des sciences, des techniques et des savoirs pour réexaminer les arts singuliers du gouvernement et les expressions de la domination dans l’espace soviétique et postsoviétique. Si les sciences et techniques dans cet espace connaissent des évolutions connectées aux innovations de leur époque, les usages sociaux et politiques qui en sont faits méritent toute l’attention des chercheurs pour voir comment s’y élaborent dans leur matérialité des pratiques d’influence et des subjectivités singulières.

Deux problématiques transverses réunissent les travaux menés au sein de cet axe. La première concerne l’élaboration des politiques scientifiques et techniques. Il s’agit de s’intéresser aux interactions entre les administrateurs, les experts et le public pour étudier les dynamiques institutionnelles et les reconfigurations politiques qui s’élaborent au fil des controverses et des débats dans différents domaines d’activité scientifique et d’innovation technique. Un intérêt particulier sera accordé à l’insertion de ces politiques dans des dynamiques transnationales par des jeux de circulation et d’échange avec des institutions et des partenaires internationaux, que ce soit durant la guerre froide ou après l’ouverture postsoviétique.

La seconde problématique porte sur les pratiques ordinaires, les appropriations, les usages et les détournements des sciences et des techniques dans la société. On ne peut pas travailler sur les politiques des sciences et des pratiques de pouvoir sans situer au cœur de l’enquête les pratiques des citoyens confrontés à l’usage et à l’appropriation de nouveaux dispositifs scientifiques et techniques tout au long du xxe et au début du xxie siècle. Il s’agira ici de saisir les dynamiques sociales face à l’innovation en repensant le rapport entre autoritarisme et inventivité. L’attention aux dynamiques transnationales permettra d’explorer des mutations qui concernent les espaces soviétique, postsoviétique et européen et qui touchent par exemple les rapports entre expérience et connaissance dans le contexte de remise à plat des paradigmes provoquée par la fin des régimes socialistes.

Pour aborder ces questions transversales, trois chantiers de recherche sont envisagés afin d’apporter des réponses à partir de l’analyse d’objets et de terrains différents.

Techniques de communication, politiques des savoirs et pratiques d’influence

Un premier ensemble de travaux concerne les sciences et les techniques du comportement humain, du social et les pratiques de communication. Les recherches porteront sur les politiques d’innovation dans le domaine des nouvelles techniques de communication et d’information, depuis les postes, le téléphone et le télégraphe soviétiques étudiés par Larissa Zakharova jusqu’au développement d’Internet et de ses usages dans la Russie contemporaine analysés par Françoise Daucé. La réflexion portera sur les transformations sociales et politiques découlant de ces innovations techniques, notamment sur leurs usages par les professionnels de la communication, les experts de l’influence et des comportements humains qui recourent à la psychologie sociale ou au marketing, étudiés par Yves Cohen. Une attention particulière portera sur les usages répressifs et coercitifs de ces outils techniques par les forces de maintien de l’ordre (Perrine Poupin).

Politique des sciences humaines et sociales

Un ensemble de travaux portera sur les transformations et les mutations observées dans le domaine du savoir académique et scientifique. Carole Sigman étudiera les enjeux des politiques universitaires et des réformes académiques post-soviétiques. Des réflexions sur l’évolution des paradigmes des sciences économiques depuis la fin de la période soviétique jusqu’à nos jours seront proposées par Olessia Kirtchik. Dans le domaine des sciences sociales, Anne Madelain conduira des travaux sur les usages politiques de la science historique dans l’espace post-yougoslave. Ces politiques des sciences seront examinées tant du point de vue de leur élaboration politique que de leur adaptation et appropriation par les acteurs du monde universitaire et scientifique. Une attention particulière sera portée aux circulations et transferts internationaux des savoirs, grâce aux travaux de Sophie Coeuré, Natalia Pachkeeva et Natalia Avtonomova.

Gouvernement des sciences, des techniques et de l’environnement

Un troisième espace d’investigation concernera le déploiement et le fonctionnement des sciences exactes (y compris biomédicales) et des techniques en URSS, ainsi que leur rapport à l’environnement. Il s’agira de saisir des modalités de la politisation des sciences, des techniques et de l’environnement, ainsi que des effets produits par les sciences et les techniques sur la politique et la société. L’objectif sera d’évaluer la place et le rôle des sciences et des techniques dans les modes de gouvernement en Union soviétique (Larissa Zakharova, Grégory Dufaud). Une attention particulière sera portée à des formes d’engagement des chercheurs et des ingénieurs avec ce qu’ils considèrent comme sciences et techniques socialistes. Plusieurs projets portent sur la question environnementale en Russie-URSS, dans la continuité de l’ANR franco-allemande « EcoGlobReg » (2014-2017) qui réunit Marc Elie, Laurent Coumel et Paul Josephson. Ils étudient l’émergence de technosciences, notamment la pédologie pendant et après la guerre froide, les projets de géo-ingénierie et la vision technocratique de la nature des cercles dirigeants et de certains milieux écologistes, et enfin le déploiement des controverses dans des arènes différentes.

Projets

→ Projet collectif financé par le Labex Tepsis, 2016-2018 (L. Coumel, G. Dufaud, M. Elie, L. Zakharova) :  « Gouverner la science, gouverner par la science. Sciences et techniques en Union soviétique (1945-1991) ». Son propos est de réinterroger la place des sciences et des techniques dans les systèmes collectivistes au xxe siècle, à la fois comme objet et comme outil de gouvernement.
→ Projet de recherche Tepsis de Marc Elie : Histoire transnationale de science pédologique durant la guerre froide
→ Projet ANR coordonné par Françoise Daucé : « Les résistants du net. Critique et évasion face à la coercition numérique en Russie » (2018-2021) consacré à l’étude des arts du contournement des professionnels du web face aux nouvelles régulations juridiques et techniques de l’internet russe

Partenariats

Centre de recherches historiques
CERMES3
Centre Alexandre Koyré
Réseau universitaire de chercheurs en histoire environnementale
Institut d’histoire et civilisation est-européenne, université de Tübingen (Allemagne)
Telecom Paris Tech
Institut des sciences de la communication du CNRS
Haut Collège d’Économie de Moscou
CEFR de Moscou

4 - Violence et justice pénale dans des sociétés en recomposition (20e-21e siècles)

Les travaux de l’axe 4 s’intéressent aux reconfigurations des relations entre États et sociétés dans des pays ayant connu des bouleversements violents, conflits armés essentiellement, mais aussi répressions policières ou transformations économiques radicales.

Si les espaces (Europe de l’Est, Union soviétique et pays de l’ex-URSS) ainsi que les périodes envisagées (post-première et seconde guerre mondiale, années 1990-2000) sont différents, ces terrains présentent en revanche un certain nombre de points communs. Dans ces sociétés fracturées, où les rapports sociaux se redéfinissent, l’autorité de l’État se déploie selon de nouvelles modalités, souvent de manière autoritaire (qu’il s’agisse ou non de régimes communistes). Les travaux réunis au sein de cet axe s’intéressent plus particulièrement aux acteurs individuels et collectifs de ces recompositions, dans toutes leurs différences, à leurs trajectoires et à leurs pratiques. Ils se déploient au sein de deux sous-axes.

Reconfigurations du monopole de la violence étatique

Les situations de sortie de conflits sont particulièrement propices à la renégociation des frontières entre État et société. D’un côté, les États en voie de « reconstruction » cherchent à recouvrer pleinement le monopole de la violence, par la répression (épuration, pacification militaire et policière), mais aussi par l’intégration (anciens combattants). En impliquant des populations dans leurs pratiques de répression, ils provoquent ou instrumentalisent des antagonismes réels. D’un autre côté, des groupes de citoyens cherchent à prendre en charge ces mêmes fonctions étatiques, dans une logique de concurrence ou encore de complémentarité et d’appui à l’action étatique. L’axe saisira l’ensemble de ces dynamiques, souvent génératrices de nouvelles violences, à partir du cas des procès des criminels de guerre au sortir de la seconde guerre mondiale, des politiques judiciaires et extra-judiciaires de lutte contre les insurrections dans l’après-guerre, des vétérans et combattants des conflits soviétiques et postsoviétiques, des groupes vigilantistes et des forces de citoyenneté policière en Russie et en Ukraine contemporaines.

Redéfinition des rapports sociaux et justice

Ces reconfigurations sont indissociables d’une redéfinition des rapports sociaux dans des sociétés bouleversées, que les travaux de cet axe abordent en particulier sous l’angle des notions de loyauté et de justice. Il s’agit de voir tout d’abord les différentes modalités de « mise en procès » du passé, à travers l’élaboration de différents récits (vilains et héros de la guerre, crimes du communisme) mais aussi de procédures concrètes : jugement des criminels de guerre, politiques de lustration, procédures de réhabilitation, restitutions de biens nationalisés ou compensations financières. L’articulation entre la mémoire de la seconde guerre mondiale et celle du communisme est, dans toute la zone (Ukraine, Biélorussie, Pologne, États Baltes), particulièrement importante. Il s’agit d’autre part d’observer la manière dont se fait la réintégration de certains groupes (retour des déplacés forcés et des prisonniers des camps en Ukraine et dans les républiques Baltes, retour des Russes émigrés après la Révolution, etc.), impliquant une confrontation des mémoires et une redéfinition des critères de la vie en commun. Cette « vie en commun » renouvelée passe également par différentes modalités d’implication des acteurs dans l’exercice de la justice ou différentes formes de contrôle citoyen (Union soviétique des années 1960, lutte contre les violences policières en Russie actuelle). Ce projet porte une forte ambition comparative, puisqu’il s’agit non seulement de faire dialoguer historiens et spécialistes du monde contemporain, mais aussi de s’ouvrir aux comparaisons avec d’autres aires géographiques.

Projets

→ ANR Jeunes chercheurs : « WWIICrimesOnTrial, 1943-1991 » (Vanessa Voisin)
→ Projet du Fonds de préfiguration du Labex Tepsis « Témoignages de guerres dans les aires soviétiques et post-soviétiques. Regards croisés : Afghanistan (1979-1989) / Tchétchénie (1994-2009) » (Anna Colin-Lebedev, Cloé Drieu et Elisabeth Kozlowski)

Partenariats

Institut des sciences sociales du politique (ISP), Paris Nanterre
Centre d’Études Turques, Ottomanes, Balkaniques et Centrasiatiques
Centre Chine de l’EHESS
Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH)
Fonds russe pour les sciences humaines (RGNF)
Fondation Mémoire de la Shoah
Centre Marc Bloch de Berlin
Labex Création, Arts et Patrimoines (CAP)
Haut Collège d’Économie de Moscou
Centre d’études franco-russe (CEFR) de Moscou
Université Libre de Bruxelles

5 - Création, diffusion et réception des biens culturels dans l’espace impérial, soviétique et post-soviétique

Cet axe de recherche est consacré à l’étude des conditions de création, diffusion et réception des arts et cultures visuels, sonores et littéraires durant les périodes impériale, soviétique et post-soviétique.  

Il s’intéresse notamment aux industries culturelles (leurs cadres, leurs valeurs, leurs commanditaires, leurs marginaux, etc.), au statut des créateurs, des intermédiaires et des destinataires à travers l’étude de parcours individuels et collectifs, aux discours politiques, aux normes explicites et implicites, aux mécanismes de censure et de constitution des pans d’opinion. L’analyse des formes et supports se conçoit dans une perspective enrichie de l’apport des démarches intermédiales (musique et cinéma, textes et images dans l’illustration, etc.). Il s’agit de replacer les productions et pratiques culturelles dans une perspective historique et internationale.

L’axe est ouvert aux périodes impériale, soviétique et post-soviétique et aux continuités et ruptures entre ces périodes. La question des transferts (culturels, techniques, de formats, de savoir-faire professionnels) est aussi présente à l’échelle nationale (ville/campagne), entre les républiques soviétiques, les pays du bloc de l’Est, et avec les pays occidentaux et orientaux. Ce travail vise notamment à repenser les catégories qui ont longtemps servi d’entrées à l’analyse d’un art soviétique sous contrainte mais qui sont remises en question depuis le début des années 2000 : art officiel versus non officiel ou indépendant, avant-garde versus réalisme socialiste, Ouest versus Est, individu versus collectif, etc. Cet axe de recherche se nourrit de méthodes, sources et concepts empruntés à différentes disciplines : histoire sociale, économique et politique, histoire des arts, des sciences et des techniques, anthropologie, sociologie, esthétique, science politique. Il donne à voir, par exemple, une histoire institutionnelle des arts inscrite dans son contexte politique.

Cet axe bénéficie des apports du séminaire collectif « Cultures visuelles : Histoire croisée du regard soviétique » organisé à l’EHESS depuis 2015 qui constitue un lieu nouveau de discussion des recherches portant sur les arts et industries visuelles à l’époque soviétique. Il s’inscrit dans le prolongement d’un ensemble de recherches consacrées au cinéma soviétique (V. Pozner, I. Tcherneva, M. Golik, V. Voisin) et à l’iconographie soviétique (G. Ritterporn). Dans le domaine de l’édition, des travaux récents viennent renouveler les recherches portant sur la littérature pédagogique soviétique et ses usages de l’image (C. Pichon-Bonin) ou sur les transformations de l’édition post-soviétique (B. Ostromooukhova). Dans le domaine de la musique, l’histoire du disque et de l’enregistrement proposée par N. Moine, fondée sur la collecte de nouvelles sources archivistiques, offre de belles perspectives dans le domaine de l’histoire culturelle de la période soviétique. Pour la période post-soviétique, les travaux de Yauheni Kryzhanouski sur le rock viennent reposer la question de la censure. La dimension transnationale des échanges artistiques est prise en compte dans l’ensemble de ces travaux, elle est plus précisément au cœur des recherches de J. Milbach et I. Podoroga. La constitution de cet axe nouveau « Création, diffusion et réception des biens culturels dans l’espace impérial, soviétique et post-soviétique » au CERCEC vient structurer un ensemble de recherches particulièrement innovantes sur ces questions.

Projets

→ Séminaire collectif « Cultures visuelles : Histoire croisée du regard soviétique », co-animé par Gabor Rittersporn, Juliette Milbach, Cécile Pichon-Bonin, Valérie Pozner, Irina Tcherneva, Vanessa Voisin
→ Projet de préfiguration du LabEx Tepsis « Sons d’empire. Histoire du disque et de l’enregistrement de la fin de l’empire russe à la fin de la période soviétique » (Nathalie Moine)