2019-2022 • Projet de coopération scientifique FMSH RFBR • Le développement de la Sibérie occidentale au 19e-20e s. : aspects socioécologiques

Porteur de projet : Marc Elie, Cercec (Cnrs-EHESS)

Porteur de projet russe : Aleksandr Sorokin, Université d’État de Tiumen’

Le projet fonde une équipe franco-russe pour mettre la nature au cœur de l’histoire sibérienne. Ses membres entendent dépasser le schéma analytique de la “conquête” du “centre” russe sur sa “périphérie”, toujours prédominant. Si le projet montre les conséquences environnementales souvent désastreuses de cette conquête, il interroge surtout les représentations de la nature à l’œuvre dans les visions de la Sibérie qui informaient les politiques de conquête. Il montre comment elles entraient en interaction (collision, adaptation, adoption) avec celles qui avaient cours parmi les populations locales. Ainsi, le projet révèle les formes spécifiquement sibériennes des agencements société-nature qui ne sont pas réductibles au paradigme conquérant. Pour ce faire, les membres tirent parti des instruments de l’histoire environnementale à proprement parler et de l’histoire des sciences et techniques.


L’équipe franco-russe, composée de deux historiens côté français et cinq historiens sibériens, se réunira une fois par an pendant trois ans pour échanger sur l’état d’avancement des travaux individuels. Les chercheurs français feront plusieurs semaines de terrain en Sibérie occidentale. Il est prévu de publier une série d’articles, dont au moins six dans des revues à comité de lecture, et un recueil de documents d’archives. Un colloque international à Paris dans la dernière année portera les résultats de l’enquête à une large discussion académique.


La Sibérie occidentale est l’une des régions majeures d’industrialisation et de développement de l’époque soviétique, et à ce titre elle intéresse particulièrement l’histoire environnementale. De l’exploitation des fourrures au 16e s. jusqu’à la mise en culture des “Terres vierges” et à la mise en exploitation des champs d’hydrocarbures au milieu du 20e s., on remarque une grande continuité dans la fascination pour une nature perçue à la fois comme extraordinairement riche et prometteuse et pleine de dangers et de défis. L’autre continuité est celle qu’impose l’approche extractive à une Sibérie devenue non seulement périphérie exploitée, mais aussi front de progrès contre une nature présentée comme “sauvage” et “vide”. La Sibérie occidentale est une région géographiquement déterminée par les monts Oural à l’ouest, le cours de l'Ienisseï à l’est et les montagnes de l’Altaï au sud-est. Elle inclut le nord du Kazakhstan. Au cours de la période étudiée, elle reste relativement isolée du cœur du pays à l’ouest. Cet isolement contribua à produire le discours de “conquête” et de “mise en valeur” caractéristique des politiques envers la Sibérie aux 19e-20e s. Mais deux pôles mettent en tension l’idée sibérienne à la fin du 19e s.: celui de la domination de la nature par l’homme et celui de la domination de la nature sur l’homme. Dans cette région clef de l’histoire russe l’équipe franco-russe se penche sur les conceptions, représentations et pratiques de la nature en cours chez différents groupes sibériens (aborigènes, paysans slaves, marchands et administrateurs, savants): comment ces diverses représentations et pratiques (“progressives”/”traditionnelles”, “universelles”/”locales”) ont évolué, ont interagi, sont entrées en conflit ou au contraire se sont adaptées les unes aux autres est l’objet central de la présente enquête.