NOS AXES DE RECHERCHE POUR 2024-2028

Compte tenu du contexte bouleversé dans lequel le CERCEC se projette dans les prochaines années et doit repenser son activité, les axes ont été conçus comme des lieux et des moyens de discussion. À la différence d’une situation routinière où nous aurions poursuivi des chantiers et défini des objectifs bien précis, les nouveaux axes ont vocation à fonctionner comme des laboratoires de réflexion épistémologique de fond pour les membres de l’unité et les nombreux associés qui y font vivre la recherche. Ils doivent être lus comme des propositions qui seront amenées à évoluer en fonction de la façon dont les recherches se construiront ces prochaines années. Comme dans le quinquennal précédent, chaque année le séminaire central du CERCEC mettra successivement l’accent sur l’un des grands ensembles thématiques.

Axe 1. Trajectoires de déportations, trajectoires d’exil et violences politiques

Coordinateurs : Alain Blum et Catherine Gousseff

L’histoire migratoire de l’Europe centrale et orientale est profondément marquée par l’importance des déplacements de population qui s’y sont déroulées dans l’histoire longue, de la fin du xixe siècle à aujourd’hui et qui, tout en étant de nature diverse, ont fortement porté l’empreinte des spécificités de l’histoire politique de l’espace impérial. Les territoires de cet ensemble sont situés au cœur d’un espace partageant deux grands systèmes migratoires, l’un orienté vers l’est, soviétique durant le xxe siècle, eurasiatique aujourd’hui, l’autre vers l’ouest européen.

Les périodes d’ouverture des frontières occidentales se sont rarement inscrites dans un contexte banalisé de circulations internationales. L’empire s’est ouvert lors de sa phase de modernisation tardive, mais spectaculaire, qui a précédé le premier conflit mondial. Par la suite et exception faite des États indépendants de l’entre-deux-guerres, ce sont surtout les grandes crises, Révolution et guerre civile d’une part, et Seconde Guerre mondiale de l’autre, qui ont donné lieu à des migrations massives liées à la reconfiguration des frontières comme à des mouvements de réfugiés fuyant le régime en place. À partir de la perestroïka, se met en place une normalité nouvelle des circulations avec l’ouverture des frontières et la reconfiguration politique de l’espace post-impérial. Si l’exil politique n’a pas complètement disparu au cours trois dernières décennies (cf. le cas tchétchène), les mobilités vers l’ouest, qu’elles soient temporaires, ou qu’elles aient entraîné des installations durables à l’étranger, ont constitué un phénomène massif, encore très imparfaitement évalué et connu. La nouvelle crise, entraînée par l’invasion russe en Ukraine, replace au premier plan l’exil, qu’il soit le fait des millions de réfugiés ukrainiens de la guerre, ou de centaines de milliers de fugitifs des autoritarismes russe et biélorusse. Cette actualité s’encastre dans une histoire longue des migrations de crise et de résistances observées à partir de cet espace, tout en chevauchant l’histoire récente des mobilités qui ont donné lieu à la formation de nouvelles territorialisations immigrées à travers l’Europe.

Le régime migratoire vers l’est a été de nature diverse tout en ayant comporté une caractéristique essentielle au xxe siècle liée à l’ampleur des déplacements forcées de population. L’expérience de la déportation et de l’univers concentrationnaire soviétique revêt une centralité à la mesure de la dimension exceptionnelle des répressions et de leur empreinte dans l’histoire familiale des sociétés.

Les projets menés s’inscrivent dans une interrogation qui traite diversement de ces mouvements migratoires. Entre recomposition des territoires, changements de régimes politiques, poids de l’histoire impériale et coloniale, les projets articulent l’analyse des transformations socio-économiques et politiques à celles des trajectoires migratoires, en suivant des approches qui mettent au centre des investigations les individus, leurs parcours et leur agentivité, et les trajectoires territoriales marquées par ces migrations.

Trajectoires de déportations – de la relégation à la réinsertion

Les déplacements forcés et contraints menés par les autorités soviétiques sur leur territoire, et sur ceux placés sous leur domination après la Seconde Guerre mondiale ont fait l’objet de plusieurs recherches conduites au CERCEC. Au-delà des déplacements directement liés à la  politique stalinienne de déportations, l’histoire du xxe siècle est marquée par nombre de migrations contraintes, tels les transferts de minorités qui ont accompagné la reconfiguration des frontières au sortir de la guerre, ou encore les parcours des personnes déportées durant le conflit, qu’elles l’aient été vers l’ouest où elles formeront une part des Displaced Persons (en français peut-être?) des camps de transit d’après-guerre, ou qu’elles l’aient été vers l’Est soviétique, à l’instar de milliers de Juifs polonais dont les trajectoires se sont apparentées à de véritables épopées et ont fait l’objet d’une attention particulière.

Ces projets, fondés sur la reconstitution de parcours individuels et articulés à l’étude des politiques menées à différents niveaux de déplacements, se poursuivront en suivant des approches récemment élaborées : représentation cartographique des trajectoires individuelles en les insérant dans les contextes socio-économiques des lieux de relégation ; étude des parcours de réinsertion une fois les contraintes de la relégation levées ; analyse de la transformation des territoires en lien avec les mouvements d’arrivées et départs des exilés ; place de la mémoire individuelle, sociale et politique de cette histoire dans la construction des identités nationales. Le travail d’archives mené jusqu’à présent sera poursuivi dans les États d’Europe centrale, avec une attention toute particulière portée à la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et l’Ukraine,.

Trajectoires des territoires

Les trajectoires humaines, marquées par les déplacements forcés, l’exil, les migrations économiques et de peuplement, transforment les territoires ou accompagnent leur transformation comme dans le cas des reconfigurations de frontières. Les déplacements qui ont suivi les recompositions territoriales de l’Ukraine et de la Pologne après 1945 en sont historiquement l’expression la plus forte, mais l’ouverture des frontières à partir de 1989 et l’émergence des nouveaux États souverains ont radicalement redéfini et accru les mobilités, modifiant les territoires et leurs connexions. Dans ce contexte, une analyse de la relation entre recompositions territoriales et mobilité des populations s’impose d’autant plus qu’elle constitue un angle d’approche souvent négligé des recherches historiennes et contemporaines. Les questionnements porteront en particulier sur les pratiques sociales dans les territoires de migrations en lien avec les nouvelles dynamiques économiques et d’échanges, sur la construction socio-culturelle des sociétés post-migratoires. Les travaux et projets portent sur différentes séquences historiques, allant du XIXe siècle à la période contemporaine, et sont conçus dans un dialogue interdisciplinaire permettant le retour réflexif des approches socio-historique, sociologique et de science politique dans la variété des cas abordés.

Fractures postcoloniales, trajectoires d’exil

Au sein de l’espace postsoviétique, les transformations sociopolitiques ont contraint à la migration des populations jusqu’ici peu mobiles, comme on l’observe dans plusieurs pays d’Asie centrale où les mobilités de travail vers la Russie, essentiellement masculines, ont profondément modifié les configurations sociales et familiales dans les territoires de départ. D’autres migrations, telles celles des femmes à l’intérieur du territoire du Tadjikistan, ou les migrations féminines en partance de Géorgie, soulignent les différentes stratégies genrées à l’œuvre dans les mobilités et leurs conséquences dans la transformation des rapports socio-économiques et culturels au sein des sociétés impactées. Les recherches portant sur ces phénomènes contemporains tiennent compte de l’instabilité qui  les caractérisent causée aussi bien par la crise de la pandémie que par les fluctuations économiques et les évolutions de l’espace migratoire russe.

La crise ouverte par l’invasion russe de l’Ukraine s’est traduite par des vagues de réfugiés inégalées depuis les grands conflits du siècle passé ainsi que d’intenses déplacements intérieurs. Les violences de la guerre ont conduit des millions d’Ukrainiens à fuir le pays ou à se déplacer dans des territoires non occupés ou moins touchés par les bombardements, tandis que le tournant dictatorial et néoimpérial du régime russe a entraîné l’exil de plusieurs centaines de milliers de citoyens de Russie vers divers pays. Ils avaient été précédés, de peu, par ceux qui avaient fui la Biélorussie dans le contexte des répressions de 2020. Beaucoup de projets ont vu le jour pour documenter cette nouvelle réalité qui concerne au premier chef les Ukrainiens. Au prisme des trajectoires d’exil, l’intérêt est fort cependant d’approcher le phénomène dans son ensemble, et ce pour des raisons d’ordre varié, à l’état d’hypothèses ou d’observation : existence supposée d’un « commun » de ces groupes issu de l’expérience impériale et de ses legs socio-culturels, notamment linguistique ; croisement des routes et lieux d’exil ; inscription de ces exils dans le sillage des mobilités récentes et de l’existence de collectivités, de réseaux constitués au cours des trois dernières décennies. L’objectif est aussi de suivre les situations exiliques à travers la constitution de nouvelles sociabilités, les reconfigurations des relations familiales, les formes d’engagements, de politisation.

L’objectif général de cette problématique est de saisir les démarches individuelles qui guident les décisions, les trajectoires, les modes d’insertion, les reconstitutions de collectifs élargis. Les projets seront fondés sur la réalisation d’entretiens non directifs auprès de personnes exilés, sur la collaboration avec d’autres centres engagés dans de telles recherches (Eur’Orbem à Paris, le Geo à Strasbourg, notamment). Il s’agira également d’enquêter en relation avec les organisations de la société civile, dans le but d’ouvrir les recherches à des collectifs d’engagement, tels Mémorial et ses différentes organisations associées. Un autre objectif est de contribuer à la constitution d’archives de l’exil, en s’associant à La Contemporaine ou la Bulac et en bénéficiant des ressources du Campus Condorcet.

Inter-disciplinarité et science ouverte

Cet axe aura une forte dimension méthodologique avec la mise en œuvre de différentes approches croisées. Archives et recueil d’entretiens permettront d’explorer les représentations des trajectoires migrantes, en particulier d’exil. Cette méthode offrira l’opportunité de développer des projets transversaux aux divers laboratoires présents sur le campus Condorcet. Les recherches déjà menées sur la représentation spatio-temporelle des trajectoires d’exil entre le Cercec et le laboratoire Géo-cités se poursuivront. Par ailleurs, l’analyse aussi bien statistique que textuelle des entretiens réalisés auprès d’exilés et de réfugiés sera menée en étroite collaboration avec l’INED, qui possède une forte expérience en la matière, ainsi qu’avec l’Institut convergence migration (ICM). Ces partenariats permettront d’articuler les approches statistiques et qualitatives dans plusieurs de nos travaux.

Cet axe prévoit de valoriser ses résultats à travers les outils de la « science ouverte », par le développement de supports numériques. La publication de l’INED (Archives sonores, soutenue par le Fonds national pour la science ouverte en partenariat avec le Cercec, Géocités et Radio France Internationale (RFI)) en constitue une première démarche expérimentale qui servira de cadre de réflexion à ce type de développement. Cette publication est en effet orientée vers un public étudiant et enseignant, elle a vocation à être diffusée, sous forme de présentations dans les collèges ou lycées, en particulier de Seine-Saint-Denis, pour mieux inscrire le laboratoire dans son nouvel environnement. l

Chercheurs titulaires

→ Elena Astafieva (CR, CNRS)

→ Masha Cerovic (MCF, EHESS)

→ Jawad Daheur (CR, CNRS)

→ Françoise Daucé (DE, EHESS)

→ Dmitri Gouzevitch (Ingénieur, EHESS)

→ Ioulia Shukan (MCF, Paris-Nanterre)

→ Carole Sigman (CR, CNRS)

 Doctorants

Richelli Alonso, Amine Laggoune, Boris Melnichenko, Guillaume Minea-Pic, Guéorgui Mory, Marta Zagula

Chercheurs associés

Olga Bronnikova (MCF, U. Grenoble-Alpes), Thomas Chopard (Mémorial de la Shoah), Sophie Cœuré (PU, U. Paris-Cités), Marta Craveri (FMSH), Maroussia Ferry (U. Aix-Marseille), Sarah Gruszka, Sophie Hohman (MCF, INALCO), Emilia Koustova (MCF, U. Strasbourg), Anne Le Huérou (MCF, Paris-Nanterre), Cécile Lefèvre (PU, U. Paris-Cités), Julia Maspero, Marie Moutier-Bitan (post-doc), Bella Ostromoukhova (MCF, Sorbonne Université), Irina Tcherneva (CR, CNRS), Lina Tsrimova, Vanessa Voisin (MCF, U. de Bologne), Anna Zaytseva (MCF, U. Toulouse)

 Projets

→ Projet FNSO Archives sonores - Mémoires européennes du Goulag (coordinatrice Wanda Romanowski, INED)

 → Projet ICM (Institut Convergence Migrations) Géorécits (exils savants) (sous la direction de Pascal Laborier, U. Paris-Nanterre))

→  Soumis à l’INSHS, « L’engagement à l’épreuve des répressions et de l’exil. Les militant.e.s de Memorial en temps de guerre» (Françoise Daucé (Cercec) et Luba Jurgenson (Eur’Orbem)

→ Projet déposé ANR EXILEST Les exilé.e.s bélarusses, russes et ukrainien.ne.s après l’invasion de Ukraine. Politisations, interactions, solidarités et tensions (Ronan Hervouet, U. Bordeaux, CERCEC partenaire du consortium) / accepté en phase 1 (mars 2023) / Projet 2024-2026 si accepté en phase 2

Partenaires

→ CEFRES

→ UMR Géographie-cités,

→ GEO-Université de Strasbourg,

→ l’Humathèque

→ Radio France Internationale - RFI

Axe 2. Guerres et empires. Discours, expériences et politiques des dominations

Coordinatrices : Masha Cerovic et Elena Astafieva

Une tradition de recherche sur l’empire, russe et soviétique, s’est maintenue au CERCEC, qui s’était ainsi inscrit dès sa création dans une lignée remontant notamment aux travaux fondateurs d’Alexandre Bennigsen. Le cœur de cet axe s’est construit autour de recherches analysant les interfaces entre les empires russe, ottoman et des Habsbourg, la violence des systèmes de domination impériale sur les confins méridionaux de l’empire russe et de ses successeurs, le rôle des acteurs locaux, l’importance des intermédiations comme des résistances, dans une histoire croisée des configurations impériales régionales depuis le XVIe siècle. La reconfiguration de l’axe pour le prochain quinquennal amplifie trois déplacements, en partie accélérés par le contexte contemporain de la guerre russe contre l’Ukraine : elle souligne le caractère séminal de l’expérience de la guerre et de la violence de masse dans les systèmes de domination impériale ; elle réintègre pleinement l’Europe de l’Est à la discussion collective ; affirmant la longue durée et la contemporanéité de ces expériences, elle fait du dialogue entre historiens et sociologues un lieu essentiel de la réflexion scientifique sur les dominations impériales. L’équipe analyse les discours et pratiques de domination impériale, avec une attention particulière aux vécus de guerre, de violence, de déplacements contraints, et aux pratiques du témoignage, de la survie et de la reconstruction, des corps, des biens, des identités et des communautés. Ses travaux sont unis par leur choix d’une approche par en bas, par les acteurs, et par des territoires géographiquement, socialement, culturellement éloignés des centres impériaux.

Les recherches de cet axe sont aussi caractérisées par deux marqueurs forts, celui du plurilinguisme et de la pluralité des sites de l’enquête, qui posent des défis, exigences et contraintes auxquels les chercheurs de l’axe se sont toujours confrontés, mais qui se sont en partie transformés depuis 2020. Pour pallier les difficultés d’une formation linguistique continue, les effets épistémologiques de l’inaccessibilité, linguistique ou physique, de certaines sources, ils ont développé de nombreuses stratégies et y ont apporté des réponses matérielles comme intellectuelles ; ils ont une pratique extensive de terrains et d’archives hors des seuls centres impériaux.

Échanges, intermédiations, discours et identités : la centralité des acteurs des marges

Dans la continuité de recherches s’inscrivant dans la nouvelle histoire impériale des deux dernières décennies, de nombreux travaux de l’axe explorent les pratiques d’échanges, de circulations, de négociations entre les représentants des centres impériaux et des acteurs locaux en Europe de l’Est et du Sud-Est, dans le Caucase et en Asie centrale. A travers les pratiques et savoirs diplomatiques, militaires, policiers, commerçants, scientifiques, ils interrogent la construction d’un commun impérial, structuré par des rapports de domination faits de dialogue, de compréhension, d’apprentissages et de syncrétismes, ainsi que de malentendus, d’ignorance, de peurs et de violence. Ils cherchent à tracer, dans ce processus, l’émergence et les transformations de discours politiques porteurs d’identité.

Un des lieux privilégiés d’observation est ici l’intersection du religieux et du politique, dont les configurations diverses contribuent puissamment à constituer et distinguer les communautés politiques en situation de domination impériale. C’est le cas dans les travaux de Radu Paun sur la mobilisation de lexiques, imaginaires et pratiques religieuses chrétiennes en Valachie et Moldavie, et de Laurent Tatarenko sur les communautés uniates et orthodoxes en Pologne-Lituanie aux XVI-XVIIIe siècles, dans ceux de Claire Mouradian sur l’Église arménienne apostolique et ceux d’Elena Astafieva sur les imaginaires religieux de l’appropriation territoriale au XIXe siècle, ou encore ceux de Marie Moutier-Bitan sur les communautés juives de la mer Baltique à la mer Noire des années vingt aux années quarante ou de Lina Tsrimova sur l’autorité religieuse et les discours hagiographiques autour d’un chef de bande tchétchène au milieu du XXe siècle.

Expériences de la violence, pratiques de la survie et reconfiguration des identités

De la Baltique à la Caspienne, les reconfigurations des situations impériales se sont accompagnées de guerres, de violences massives, de destructions des biens et des corps, de dislocation des liens et des communautés. Les politiques et dynamiques de ces violences et la diversité des réponses que lui apportent les sociétés prises pour cible réunissent de nouveau, dans cet axe, historiens et sociologues, travaillant sur l’Europe de l’Est et sur le Caucase. Le dialogue intensif entre ces chercheurs venus d’horizons divers est une des inflexions majeures de cet axe, accélérée par l’invasion russe de février 2022.

Unis par une approche micro et par leur attention aux expériences et pratiques des acteurs, ils et elles déploient une grande diversité de questionnements et de perspectives, dont par exemple l’analyse des pratiques de mobilisation et de violence plurielle en situation d’occupation, les atteintes à l’intégrité physique et la reconstruction des corps, les écritures de l’intimité et les pratiques de l’émotion en situation de violence extrême, le voisinage comme lieu central de l’expérience génocidaire, la recomposition des liens sociaux à travers la survie par la migration, la transformation des identités et communautés au prisme du rapport à la violence.

Pratiques du témoignage

Ce dialogue par-delà les frontières spatiales, temporelles et disciplinaires se noue en particulier autour de la question du témoignage. Utilisé comme source par tous les chercheurs de l’axe travaillant sur les violences de masse, il est saisi dans plusieurs dimensions. Il inclut un large éventail d’écritures et de dires de soi, y compris les journaux intimes, les dépositions judiciaires, les entretiens avec des enquêtes aux statuts variés, les autobiographies et mémoires, les correspondances privées...

Étudié comme pratique à part entière en temps de guerre, il est aussi, dans la guerre actuelle, collecté tant par les historiens (Thomas Chopard, Sarah Gruszka) que par les sociologues (Ioulia Shukan, Anne Le Huérou), qui ont cependant des méthodologies et des pratiques très différentes de l’entretien. Les témoignages de guerre se distinguent aussi par leur lien inextricable avec le témoignage judiciaire, ce qui soulève des interrogations complexes sur leur double statut probatoire, scientifique et juridique, et partant, sur la position des chercheurs qui les collectent ou les utilisent. Cet axe sera le lieu d’une discussion renouvelée, interdisciplinaire, autour de ces enjeux épistémologiques, éthiques et politiques, appuyée sur un investissement déjà important du CERCEC sur ces questions.

Deux projets importants portés par le CERCEC rendront visibles et accessibles les témoignages collectés : les historiennes Sarah Gruszka et Marie Moutier-Bitan recenseront la totalité des journaux intimes d’auteurs juifs européens pendant la Deuxième Guerre mondiale, tandis qu’Elisabeth Kozlowski développera la plateforme de publication de témoignages de participants des guerres dans l’espace soviétique et post-soviétique depuis 1979.

Langages de guerre et production de normes

Ces analyses micro observent les transformations des discours de la guerre, avant, pendant et après les conflits. Dans une grande diversité de langues, d’espaces et de temporalités, les chercheurs de l’axe examinent les interactions entre des propagandes portées par des médias officiels et des cultures de guerre fragmentées, les manières dont les mémoires étatiques s’articulent à des négociations et conflits, y compris judiciaires, pour dire l’expérience de la guerre, et les persistances et transformations de mémoires plurielles dans différents contextes, depuis les chants des Tchétchènes en déportation jusqu’aux conflits mémoriels actuels.

Émerge une interrogation commune sur les manières dont les normes sont redéfinies en contexte de guerre, d’occupation ou de domination impériale. Loyauté et trahison, collaboration et résistance, banditisme et héroïsme, sont autant de catégories contestées entre divers acteurs étatiques et sociaux, dont les bouleversements accompagnent les disruptions et reconfigurations violentes des hiérarchies, liens, appartenances et identités dans les situations guerrières et impériales étudiées.

Langages et silences de l’empire : pensées de la domination

Enfin, dans un contexte de débats internationaux intenses dans le champ des études russes, soviétiques et postsoviétiques autour de sa possible ou nécessaire « décolonisation », la reconfiguration de l’axe « impérial » au CERCEC amène aussi l’ensemble de ses membres à questionner et confronter non seulement les expériences de la violence et de la domination impériale, mais les manières dont les acteurs ont pensé, conceptualisé, dit ou ignoré « l’empire », qu’il soit russe ou soviétique, du XVIe  siècle jusqu’à aujourd’hui, en incluant des dynamiques transimpériales et transnationales de formulation et circulation des manières de dire, penser et taire ces dominations. Il s’agit moins de rouvrir le débat sur le caractère impérial ou non de l’URSS, mais d’examiner comment et pourquoi il était affirmé par certains acteurs et invisible à d’autres, qui partageaient pourtant le même espace politique, comme c’est le cas aujourd’hui dans les sociétés de l’espace post-soviétique confrontées à la prétention hégémonique de Moscou. l

Chercheurs titulaires

→ Radu Paun (CR,CNRS)

→ Claire Mouradian(DR, CNRS)

→ Masha Cerovic (MCF, EHESS)

→ Elisabeth Kozlowski (IE, EHESS)

→ Elena Astafieva (CR, CNRS)

Chercheurs associés

Laurent Tatarenko (CRCN, CNRS), Lina Tsrimova , Marie Moutier-Bitan (post-doc), Ioulia Shukan (MCF, Université Paris-Nanterre), Sarah Gruszka,  Emilia Koustova (MCF/HDR, Université de Strasbourg),Thomas Chopard (Mémorial de la Shoah), Anne Le Huérou (MCF, Université Paris-Nanterre), Alexandra Goujon (MDC/HDR, Université de Bourgogne),, Anna Colin-Lebedev (MCF,  Université Paris-Nanterre)

Projets

→ ANR «RUSKURD» (coordonnée par Masha Cerovic et Etienne Peyrat, Sciences Po Lille)

→ SMALLST

Partenaires

Sciences Po Lille

IFEA

IHMC

Institute of History, Research Centre for the Humanities, Budapest, Hongrie

Projet de plateforme d’archivage et de traitement des témoignages des guerres soviétiques et post-soviétiques

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, face à la multiplication des projets de collecte de témoignages oraux au sein du Cercec, et au vue de la nécessité faites aux chercheurs et aux doctorants de prévoir un plan d’archivage de leurs données, le Cercec se propose de rassembler, dans une base de données, indexées, multilingues et consultables en ligne, des témoignages de participants aux conflits armés de l’espace soviétique et post-soviétique collectés par les chercheurs et doctorants dans le cadre de leurs recherches.

Le corpus des témoignages

Le projet souhaite ne pas se limiter aux combattants et vétérans de ces guerres mais élargir la collecte de témoignages aux pompiers, journalistes militaires, médecins, infirmières, personnels de l’arrière, membres d’ONG, aumôniers militaires, femmes de combattants etc.

• A terme, l’ambition du projet est de documenter les deux côtés de la guerre. Seront donc progressivement incorporés dans la base les témoignages du camp opposé de la guerre.

• Dans un souci comparatif à plus grande échelle et à long terme, on peut imaginer une ouverture de la base de données à d’autres conflits impliquant la Russie qui sortent de la zone soviétique et post-soviétique.

Format des témoignages

Les témoignages pourront être proposés sous la forme de transcriptions, fichiers vidéo, enregistrements sonores.

Le volet “documentation”

Outre les témoignages oraux, la base de données comprendra un volet «documentation» qui accueillera des cartes interactives, des ego-documents, des photos, des vidéos etc..

Éthique

La protection des témoins est une priorité. Plusieurs variantes peuvent être envisagées :

- publier en accès ouvert les entretiens dont les auteurs ont fourni une autorisation de publication

- conserver en accès fermé, avec autorisation, les autres entretiens sensibles

- anonymisés ou pseudonymisés à la demande des «témoins» - avec changement de nom, modification ou suppression d’informations d’identification telles que les noms de lieux pour assurer un plus grand anonymat.

En partenariat avec la revue The Journal of Power institutions in Post-Soviet Societies associée au Cercec

Axe 3. État et société de l’époque moderne à nos jours : sujétion, travail, propriété

Coordinatrices : Juliette Cadiot, Anna Joukovskaïa et Isabelle Ohayon

Dans l’espace géographique qui s’étend de l’Europe centrale et orientale à la Russie et à l’Asie centrale, la période qui commence vers 1700 et se poursuit jusqu’à aujourd’hui est caractérisée par l’essor de l’État moderne, que nous entendons comme le porteur d’un programme ayant pour ambition de conquérir et contrôler des territoires et leur population, mais aussi de réguler les interactions sociales. Bien que l’hétérogénéité fût en partie préservée du fait du pluralisme juridique, du respect de la diversité confessionnelle et de la sous-administration des périphéries — traits caractéristiques de régimes impériaux — l’autonomie des sociétés fut mise en cause, voire délégitimée par le pouvoir politique. Cet axe veut interroger le rapport entre l’État et les sociétés, en comparant les pratiques aux normes juridiques, morales ou économiques, promues au nom de la modernité.

 Les prétentions de l’État moderne volontiers coercitif à un projet de contrôle global sur les “sujets” ne doivent cependant pas faire oublier les caractéristiques de son infrastructure et sa praxis : les discontinuités chronologiques et territoriales de son action, le poids inégal de sa présence, les difficultés logistiques et la loyauté imparfaite de ses agents qui ont tendance à se considérer comme des acteurs autonomes... Ces nombreux facteurs sont autant de pistes pour interroger le modèle de l’opposition entre l’État et la société, afin d’offrir une vision soucieuse de comprendre les dynamiques institutionnelles et sociales de leur interpénétration.

Les membres de l’axe entendent poursuivre, tout en les affinant, les approches méthodologiques mises en œuvre au cours des dernières années. Ils privilégient une démarche qui permet, grâce à une articulation autour d’études de cas, le décloisonnement entre l’histoire politique, sociale, et économique, tout en mobilisant l’ensemble des outils de la sociologie, l’anthropologie et la géographie. Dans cette perspective nous mettons le “jeux d’échelles” au cœur de nos démarches, en croisant une histoire située, attentive au poids des lieux et des moments, avec une analyse macrosociale des régimes politiques qui se sont succédés dans l’espace géographique occupé par l’empire russe, puis soviétique et enfin post-soviétique. Dans les conditions politiques actuelles d’accès restreint aux terrains d’enquête en Russie, en Ukraine et en Biélorussie, la diversification des techniques d’enquête et des sources reste notre priorité : lecture fine des sources écrites (actes notariés, archives judiciaires et administratives, correspondances privées et politiques, archives de gestion économique des domaines, données statistiques, enquêtes, sources visuelles, etc.), constitution de bases de données, cartographie, entretiens et observation participante.

Gouvernants/gouvernés ; maîtres/esclaves : les matrices des relations de dépendance au XVIIIe siècle

Une étude de la pensée politique approchée à travers la pratique administrative s’inscrit naturellement au cœur de cet axe (Igor Fedyukin). Traditionnellement, l’histoire de la pensée politique en Russie de l’époque moderne et contemporaine est ancrée dans une démarche de réflexion théorique sur la nature du pouvoir politique et la figure du monarque, ce qui, dans le contexte russe, suppose le recours à un corpus très restreint d’auteurs et de textes. Il s’agit ici de changer d’angle d’approche et d’analyser les idées des administrateurs sur les gouvernés ou les “sujets”. Si leurs représentations implicites et parfois explicites peuvent être identifiées dans les textes théoriques, elles s’expriment aussi dans les documents pratiques de gouvernement où nombre d’administrateurs mobilisent des notions politiques au cours de leurs activités quotidiennes. Dans un premier temps, il est prévu d’examiner l’évolution de la représentation du sujet politique (poddanny) en Russie au XVIIIe siècle à travers plusieurs domaines du gouvernement des populations : l’organisation du service civil et militaire, les méthodes d’éducation, la politique fiscale et commerciale, le traitement des non-Russes, le statut des paysans. Cette approche pourrait ensuite être appliquée à l’étude de la “pensée politique” à l’époque soviétique.

Au début du XVIIIe siècle, l’essor de l’État central est freiné par la difficulté d’accéder directement à la masse de ses “sujets” théoriques, imbriqués dans des hiérarchies de dépendance privées. Une conception juridique archaïque du statut du travail fait que toute personne travaillant pour autrui, soit plus de la moitié de la population, est automatiquement perçue comme “appartenant” à son “maître”, avant même d’être un “sujet” du tsar. Si la monarchie renforce le droit des nobles sur la personne des paysans qui habitent sur leurs terres, elle lutte en revanche contre la tendance générale d’utiliser le travail salarié et l’endettement comme un outil de réduction en esclavage, qui transforme les “sujets” du tsar en serviteurs particuliers. En explorant le statut du travail (contre salaire ou pour dette) en Russie à l’époque moderne, l’idée est d’établir une nouvelle synthèse permettant de fournir une base ferme à la discussion des hypothèses qui contestent l’opposition entre le travail “non-libre” des serfs et des serviteurs (kholopy) en Russie et le travail “libre” des sujets dans les États de l’Europe Occidentale (Anna Joukovskaia). L’objectif sera de dépasser la marginalité du cas de l’empire russe dans les entreprises historiographiques comparatistes actuelles, notamment dans le domaine de l’histoire du travail et de l’esclavage, grâce au renouvellement de l’appareil conceptuel et terminologique russe qui remonte à l’époque soviétique et apparait comme inadéquat à son objet et dépassé dans les débats internationaux.

Par-delà la tradition, interroger les leviers de la perpétuation des structures sociales, agraires et de propriété (XIXe-XXIe siècles)

En dépit des bouleversements politiques et économiques survenus au cours de la formation des États modernes et de leurs avatars impériaux/impérialistes, certaines structures familiales, sociales et économiques semblent se perpétuer. Leur résilience face aux changements brutaux nous intéresse afin de singulariser les dynamiques à l’œuvre sur le long terme, entre administration et administrés.

Ainsi pour l’Asie centrale soviétique du second XXe siècle, pour comprendre la longévité des structures communautaires, on doit convoquer à nouveau l’analyse des actions de l’État, leur réception et leurs effets. Plutôt que d’interpréter l’inertie des comportements démographiques et des pratiques rituelles comme traduction du “traditionalisme” des sociétés centrasiatiques ou de “l’échec de la modernisation soviétique”, il semble plus productif de questionner comment certains dispositifs économiques et politiques soviétiques ont permis la consolidation de traits traditionnels de la structuration du lien social chez les populations autochtones (rurales). Il s’agit d’explorer la conjonction de mesures et de politiques d’État comme conditions ayant favorisé l’enracinement des populations, leur faible mobilité migratoire et sociale, et in fine la fabrique d’un nouveau régime traditionnel (Isabelle Ohayon). Ce dernier se traduit notamment par une augmentation des dépenses ostentatoires consacrées aux cérémonies du cycle de vie mais surtout par un élargissement inédit de ces pratiques à tout le spectre social. Plus que jamais d’actualité au XXIe siècle, l’intensité de la vie cérémonielle questionne les transformations de la cohésion communautaire et le lien d’interdépendance entre familles et individus dans les sociétés d’Asie centrale, dès lors que le régime d’accès aux ressources change. D’une configuration combinant la production agricole privée et une insertion dans le régime collectiviste à l’essor du marché et du consumérisme, les conditions de l’actualisation des liens se métamorphosent, bouleversées par les migrations et les tentatives d’intervention des Etats qui appellent de nouvelles investigations (Guéorgui Mory, Richelli Afonso).

La question des relations d’interdépendance entre l’État et la société apparaît de manière particulièrement saillante quand le principe de stabilité de la propriété se voit remis en cause. Dans l’espace soviétique, c’est la guerre qui redéfinit ce rapport avec son cortège de confiscations, de réquisitions et de spoliations, notamment sur les territoires partagés par le Pacte Molotov-Ribbentrop (1940-1990). Ce moment dramatique de spoliation et de remise en cause des relations de propriété par différents États, nazis et soviétique fera l’objet d’une recherche qui mettra l’accent sur les tentatives des survivants de défendre leurs droits, en réclamant les propriétés perdues, et d’asseoir le principe de la propriété privée et de sa protection (Juliette Cadiot). Même si tout au long de ces années des rescapés de la Shoah, des évacués, ou des anciens déportés réclament le retour de leurs biens auprès des instances administratives ou des tribunaux civils, il faut attendre les années 1990 et la fin du régime soviétique pour que les familles fassent des recours massifs afin de recouvrer leurs biens, spoliés par les Soviétiques ou les Nazis. La question de l’inventorisation des biens saisis et spoliés et de leur redistribution, ainsi que des mesures de contrôle comptable, administratif et pénal afin d’encadrer ces transferts, dans un contexte cataclysmique de guerre totale, sera étudiée à travers les archives de l’État et du Parti ainsi que des ispolkom, mairies, tribunaux, car c’est souvent à l’échelle des localités que la question des transferts de biens trouva sa résolution, dans des configurations de voisinage et de tensions locales.

Les thèmes de la sujétion politique et économique, du travail et de la propriété apparaissent également centraux dans le questionnement sur la permanence/ recomposition des grands domaines agricoles, lequel permet de revisiter les trajectoires agraires en Europe centrale et balte au XXe siècle (Marie-Claude Maurel). Il s’appuie sur la notion de “grande maille agraire” qui désigne une succession de formes sociales de production recouvrant des réalités aussi différentes que le grand domaine seigneurial du passé, la ferme d’État et la coopérative collectiviste hier, la grande exploitation sociétaire de l’agriculture de firme, aujourd’hui. Des mécanismes complexes de transmission ont remodelé les relations de propriété et les rapports sociaux selon des trajectoires agraires inscrites dans des contextes spatio-temporels. L’approche en termes de “dépendance du chemin suivi” permet de penser l’agencement des séquences de transformation, de repérer les temps de bifurcation et d’avancer une interprétation au-delà du simple récit historique. C’est une lecture en termes de modèles agraires correspondant à des mutations des régimes de domanialité qui est proposée. l

Chercheurs titulaires

→ Juliette Cadiot (DE, EHESS)

→ Anna Joukovskaia (CR, CNRS)

→ Isabelle Ohayon (CR, CNRS)

→ Marie-Claude Maurel (DE, EHESS, honoraire)

Doctorants

Guéorgui Mory (CNRS), Richelli Afonso (EHESS)

Chercheurs associés

Igor Fedyukin (HSE, Moscou), Peter Hallama

Peter Hallama (lecteur, Sorbonne Université)

Projets

→ ANR CEREMONIAC

Partenaires

Centre Emile Durkheim, Sciences Po Bordeaux

Institut d’histoire, Académie des sciences d’Ouzbékistan

IFEAC

Axe 4. Production et destruction des environnements. Matérialités, savoirs et territoires (19e-21e siècles)

Coordinateurs : Jawad Daheur, Marc Elie, Nathalie Moine

Le CERCEC définit pour les cinq prochaines années un nouvel axe de recherche qui articule les thématiques environnementales, épistémologiques et territoriales en Eurasie septentrionale. Les chercheurs qui se reconnaissent dans ces trois priorités placent l’environnement anthropisé au cœur de leur travail et s’interrogent sur les effets des transformations imposées à la nature sur les inégalités territoriales et les rapports de domination. Ils procèdent à une double démarche : d’une part, ils rematérialisent l’histoire sociale en introduisant les corps, les animaux et les choses du monde naturel dans les réseaux de relations humaines ; de l’autre, ils interrogent le rôle des savoirs dans les bouleversements environnementaux et leur critique.

1. La nature comme ressource et son exploitation

Une part importante des recherches intégrées à cet axe porte sur des régions construites comme périphériques aux époques impériales, soviétiques et postsoviétiques. Qu’il s’agisse de régions rurales de la Russie centrale, de marges impériales ou de « républiques nationales », la problématique de la domination métropolitaine dans l’exploitation des ressources y est centrale. Les travaux mettent l’accent sur l’attrait qu’exerçaient sur les élites nationales les promesses de « modernisation » appuyée sur les grands projets infrastructuraux, les négociations complexes et longues autour de ces attributions et les critiques et oppositions aux projets transformistes.

Les recherches portent ainsi sur le développement de la culture du coton en Asie centrale et sur ses conséquences sanitaires et environnementales dramatiques (Beatrice Penati) et sur les steppes septentrionales du Kazakhstan livrées à la monoculture céréalière et à une crise érosive de grande ampleur (Marc Elie). La « mise en valeur » infrastructurelle de l’Arménie est étudiée dans une perspective de construction nationale postgénocide difficile et conflictuelle (Nathalie Moine). L’exploitation du bois dans les marges extractives de l’Europe centrale et son commerce à l’apogée de l’ère industrielle fera l’objet d’un projet franco-allemand à déposer (Jawad Daheur). Dans les régions pauvres du nord de la Russie, à la fin de la période soviétique, la patrimonialisation touristique s’est finalement substituée à la mise en valeur hydraulique, avec des conséquences environnementales ambiguës, dans un contexte de regain du nationalisme russe encouragé par les autorités soviétiques et dynamisé par le contexte de la glasnost’ gorbatchévienne (Laurent Coumel).

La nature n’est donc pas seulement une ressource matérielle, économique et sociale : elle est aussi un levier politique et culturel mobilisable pour d’autres agendas qui sont à la fois idéologiques et politiques. Les chercheurs de cet axe observent tout particulièrement la mise en infrastructures du monde naturel et les acteurs qui font vivre et vivent de ces interfaces. Sophie Lambroschini étudie les réseaux de distribution d’eau et d’énergie dans le Donbass en guerre en s’intéressant à leur gestion partagée à cheval sur la ligne de front et aux reconfigurations des existences et des appartenances des habitants dans le conflit au prisme de l’accès à ces infrastructures critiques.

 2. Les savoirs sur la société et l’environnement

L’étude des milieux savants et experts est un point commun aux études réunies dans cet axe : architectes, chercheurs, ingénieurs et planificateurs sont des acteurs clefs dans les projets extractivistes et transformistes. Comme groupe social, ils sont en forte promotion et extension sur la période considérée et exercent une influence politique variable. Ces recherches s’inscrivent dans la continuité de travaux d’histoire et sociologie des sciences qui ont connu leur expansion au précédent quinquennal dans l’axe 3 « Sciences et techniques dans les arts du gouvernement ». De nouvelles approches et aspects s’ajoutent à cette préoccupation initiale pour les relations entre savoirs et pouvoirs : les matérialités socio-environnementales sur lesquels ces savoirs s’appliquent, les dimensions spatiales des projets et utopies et les réflexivités environnementales.

Comment les bureaux d’architecture soviétique et postsoviétique ont imaginé la ville-machine du futur fait l’objet d’une thèse qui croise géographie urbaine et histoire des sciences et technique et place la production de l’espace et la production d’énergie au cœur de la réflexion (Rachel Vasconcellos). Olessia Kirtchik traite de l’histoire des savoirs sur les matérialités sociales, telles l’économie et l’agronomie, ainsi que les technosciences du contrôle sur les systèmes, telle la cybernétique.

Les recherches sur les savoirs environnementaux, qui ont tradition au CERCEC (Marie-Hélène Mandrillon), se poursuivent. Elles sont approfondies par l’étude transnationale des sciences du système terre, en particulier l’hydrologie, la climatologie et la pédologie : comment les milieux savants ont-ils participé à l’élaboration de ce que Paul Edwards appelle « infrastructures de savoir » de portée globale ? Comment les alertes environnementales, normalement étouffées en URSS, ont-elles transité par ces réseaux internationaux ? (Marin Coudreau, Laurent Coumel, Katja Doose, Marc Elie).

Comment, en URSS elle-même, s’est transformé le système de savoir-pouvoir mis en place sous Staline, pour inclure les républiques comme niveau expert et décisionnaire à l’influence grandissante et en tension avec les ministères productifs centraux, y compris la police politique ?

3. Corps au travail et santé environne-mentale

S’appuyant sur les recherches transdisciplinaires sur l’intime et la corporéité, et croisant histoire de la santé et histoire environnementale, les travaux se poursuivent sur le corps souffrant dans les environnements dégradés du socialisme tardif. Un point de vue favorable à l’observation des transformations du corps socialiste est offert par les crises et catastrophes, à commencer par l’accident de Tchernobyl (Paul Josephson). Les grandes mobilisations des années de perestroïka (1986-1991) sont un terrain d’analyse de l’émergence de causes environnementales majeures. Les protestataires articulent les maux des corps empoisonnés aux pesticides, irradiés aux radionucléides ou attaqués par les émissions industrielles (Projet EnviroHealth : Nathalie Moine, Marin Coudreau, Laurent Coumel, Grégory Dufaud, Marc Elie).

La dualité du corps au travail comme ressource dans les programmes infrastructurels et les entreprises extractives et du corps comme vécu souffrant est une préoccupation centrale de ces recherches. Les travailleurs forestiers migrants diffusant le choléra le long des fleuves d’Europe centrale (Jawad Daheur), les ouvriers des travaux publics en Arménie (Nathalie Moine), les corps des ouvriers agricoles moldaves et ukrainiens imbibés de pesticides (Marin Coudreau) et les corps des ouvriers révoltés contre les cancérogènes dans les cités du complexe militaro-industriel au Kazakhstan (Marc Elie).

La matérialité corporelle est également abordée par le prisme des relations homme-animal. Marin Coudreau travaille sur les « nuisibles de l’agriculture » et leur agentivité dans la création « d’écologies inévitables » (selon l’expression de Linda Nash). Jawad Daheur travaille à la « misère galicienne » (fin XIXe/début XXe) en redonnant une capacité d’agir aux animaux d’élevage et aux pathogènes qu’ils peuvent transmettre aux humains. l

Chercheurs titulaires

→ Jawad Daheur (CR, CNRS)

→ Marc Elie (CR, CNRS)

→ Nathalie Moine (CR, CNRS)

 Doctorants et post-doc :

Rachel Vasconcellos  (doctorante)  

Marin Coudreau (postdoc)

 Chercheurs associés

Laurent Coumel (MCF, INALCO)

Katja Doose (postdoc, U. Fribourg))

Grégory Dufaud (MCF, Sciences Po Lyon)

Paul Josephson (Professor of History, Colby College, Etats-Unis)

Olessia Kirtchik (Chargée de mission CNRS, Centre Internet et Société)

Beatrice Penati (U. Liverpool)

Sophie Lambroschini (postdoc, ANR LIMSPACES)

Projets financés

→ EnviroHealth (ANR-DFG)

→ LimSpaces (ANR-DFG)

Partenaires

→ Centre Marc Bloch de Berlin

→ U. Freiburg

→ Rachel Carson Center de Munich

→ U. Tübingen

→ U. de Fribourg

Axe 5. Contraintes, contournements et création en contexte autoritaire

Coordinatrices : Françoise Daucé et Carole Sigman

Cet axe de recherche a pour objectif d’interroger la diversité des expériences politiques autoritaires, dans leurs multiples hybridations, qui ont marqué les expériences historiques et contemporaines dans le vaste espace qui va de l’Europe centrale et orientale à l’Extrême-Orient, en passant par la Russie, le Caucase et l’Asie centrale. Dans le temps long, qui va du XIXe au XXIe siècle, il s’intéressera aux processus de durcissement et de desserrement des configurations de pouvoir dans les différents États étudiées, en lien avec les évolutions des contextes régionaux et internationaux. Grâce aux compétences des collègues rassemblés dans cet axe, les recherches porteront sur des moments emblématiques du changement politique, qu’il s’agisse des processus d’émancipation liés à la fin de l’empire russe, des dispositifs totalitaires qui culminent avec le stalinisme, des arrangements autoritaires liés au dégel khrouchtchévien puis à la période brejnévienne. Pour la période la plus récente, l’accent portera sur les réformes de la perestroïka ainsi que sur les trajectoires d’émancipation d’Europe centrale et orientale, tout en ayant en mémoire la complexité de ces moments de bascule politique. Les réformes des années 1990 et les tournants autoritaires des années 2010-2020 dans plusieurs pays de la zone étudiée feront l’objet d’une attention soutenue. Les effets des guerres sur les cristallisations autoritaires seront particulièrement analysés. On s’attachera notamment à décrypter les effets politiques produits par la guerre en Ukraine, à partir de février 2022, sur les régimes impliqués ou confrontés à cet affrontement majeur.

Les recherches seront menées à partir de sources de première main, qu’il s’agisse d’archives, d’entretiens, voire de données numériques. L’inaccessibilité temporaire aux chercheurs étrangers de certains terrains depuis février 2022 nous oblige à développer une inventivité méthodologique, i.e. à nous saisir de toutes traces significatives, quels que soient leurs formes et leur mode de production. Elle favorisera aussi un décentrement des enquêtes qui pourront se dérouler, entre autres, sur tous les terrains concernés directement ou indirectement par l’expérience ou la confrontation aux expériences autoritaires. Si le cas des autoritarismes russe et bélarusse semblent centraux, il s’agira de pluraliser les expériences autoritaires au regard de leurs multiples déclinaisons, dans le Caucase comme en Asie Centrale. Les expériences démocratiques y sont souvent fragiles et marquées par des pratiques répressives spécifiques. En lien avec la guerre et l’émigration russes, les gouvernements et sociétés d’accueil s’inquiètent aussi de manières très diverses de leurs impacts sur leurs propres régimes, autoritaires ou non (les uns s’inquiétant d’un renforcement des autoritarismes, les autres du potentiel subversif des migrations par exemple). Les enquêtes pourront aussi être menées sous forme de campagnes d’entretiens auprès de personnes issues de ces espaces autoritaires mais se trouvant à l’étranger, qu’elles soient exilées parce que fuyant la répression et la guerre ou simplement de passage.

La multiplicité des emprises

Il s’agira d’étudier, à des échelles différentes, les modes d’emprise politique sur les individus, les secteurs sociaux et les territoires. Les enquêtes seront attentives à la multiplicité de phénomènes auxquels aboutissent les processus de socialisation et d’encadrement des individus au sein des sociétés autoritaires par-delà la loyauté comprise dans le sens strict du terme (Tamara Kondratieva). Les recherches porteront sur les usages du droit (Michel Tissier) ainsi que sur les dispositifs de coercition, d’usage de la violence, d’exercice de la justice et de maintien de l’ordre, impliquant parfois la participation des citoyens eux-mêmes (Gilles Favarel-Garrigues, Anne Le Huérou). Un intérêt spécifique sera porté aux institutions de socialisation et d’encadrement de la société, notamment le rôle de la famille (Peter Hallama), des autorités religieuses (Kathy Rousselet) et les formes d’enrôlement de la jeunesse (Niya Metodieva), contribuant à la fabrication de la loyauté. La régulation de l’espace public, par le biais de la censure dans ses multiples réseaux, sera considérée, notamment avec ses développements les plus récents dans le champ numérique (Françoise Daucé, Boris Melnichenko, Anna Tikhomirova).

Les formes de la contestation et de l’accommodement

En regard, les travaux porteront aussi sur les formes de contestation et de « résistance » allant des protestations les plus ouvertes aux modalités les plus discrètes d’accommodement, d’arrangement ou de contournement. Les enquêtes porteront sur l’inventivité au quotidien des citoyens pour échapper à la surveillance, détourner les contrôles ou protéger leurs proches (Olga Bronnikova). L’intérêt pour les cultures alternatives et les formes multiples de dissensus artistiques fera l’objet de futures enquêtes (Isabelle Ohayon). L’analyse portera aussi sur les institutions, y compris celles qui dépendent de l’État, dont certains pans s’organisent pour esquiver les contraintes (Grégory Dufaud, Carole Sigman). Une attention particulière sera portée à l’analyse des pratiques au plus près des acteurs avec les outils de la sociologie politique et de l’histoire sociale (sociologie de l’action collective, des mobilisations, analyse des organisations, des transformations de l’État, de l’économie politique, des modes de domination…). Plusieurs terrains d’observation privilégiés (donner un ou deux exemples) permettront de mettre au jour ces pratiques politiques, rapports de pouvoir et négociations qui font l’autoritarisme au concret. La réflexion prendra d’abord pour objet les appareils étatiques, établissements ou entreprises (semi-)publics. Elle considérera ensuite les engagements politiques (d’opposition ou organisés par l’État et a priori « loyaux »), incarnés par les partis « dans le système » s’accommodant des règles politiques contrôlées, mais aussi par les mouvements protestataires venant contester la domination autoritaire, qu’ils défendent un projet d’émancipation sociale ou de conservatisme nationaliste et xénophobe (Rodolphe Droalin). En contrepoint, les recherches documenteront les formes d’évitement du politique et de retrait de la vie publique qui se développent dans les sociétés concernées.

 Pratiques créatives et trajectoires d’artistes sous contrainte

 Une attention soutenue sera portée aux pratiques créatives, sur une période longue, dans le monde artistique (cinéma, arts plastiques, musique, performances…) sous contrainte autoritaire (Juliette Milbach, Gabor Rittersporn, Valérie Pozner). Les enquêtes mettront au jour les modalités concrètes de création, en portant le regard sur les trajectoires des artistes, les conditions matérielles de leurs productions et la circulation des modèles qu’ils mobilisent (Yauheni Kryzhanouski). Les créations culturelles et artistiques, en tant qu’elles contribuent à l’expression de formes d’adhésion aux projets dominants ou de subjectivités critiques qui viennent contredire, voire saper, les fondements de l’autoritarisme, constituent un observatoire remarquable pour mettre au jour les lieux communs acceptés mais aussi les questions taboues, les réalités indésirables ou les défaillances des projets autoritaires.

Les réflexions qui nourriront les recherches de cet axe comporteront une dimension fortement comparative : entre les pays de la zone, entre les époques, mais aussi avec des régimes autoritaires présents ou passés situés hors de l’espace géographique couvert par le laboratoire (Chine, Amérique latine, Turquie, etc.). La question de la circulation des normes et des pratiques autoritaires fera l’objet d’analyses visant à mieux saisir les phénomènes d’emprunt, de mimétisme et de traduction des règles coercitives entre les régimes autoritaires, mais aussi des pratiques de contournement et des formes de critiques. Les réflexions engagées dans cet axe croiseront, bien sûr, celles des autres axes du laboratoire et pourront trouver des prolongements, sources d’inspiration, espaces d’échange et de discussion dans des revues spécialisées (notamment la Revue d’études comparatives Est-Ouest), dans les séminaires organisés par des membres de l’axe (« Guerre, autoritarisme et mobilisations dans l’espace post-soviétique » et  « Enquêter dans les sociétés chinoise et russe : à la recherche d’appuis communs pour la réflexion ») et dans des collaborations avec d’autres laboratoires en France et à l’étranger (Centre Chine-Corée-Japon, CETOBaC, ISP, CERI, Eur’orbem, CEFRES, CEFR, IFEAC, IFEA, …). l

Titulaires

→ Françoise Daucé (DE EHESS)

→ Isabelle Ohayon (CR CNRS)

→ Gabor Rittersporn (DR CNRS, émérite)

→ Carole Sigman (CR CNRS)

 Doctorants

Rodolphe Droalin (doctorant CERCEC)

Pierre Labrunie (doctorant CERCEC)

Boris Melnichenko (doctorant CERCEC)

Niya Metodieva (doctorante CERCEC)

Anna Tikhomirova

 Associés

Olga Bronnikova (MCF, U. Grenoble-Alpes)

Grégory Dufaud (MCF, Sciences Po Lyon)

Gilles Favarel-Garrigues (DR, CERI)

Mischa Gabowitsch (chercheur au Centre d’histoire des transformations de l’Université de Vienne)

Peter Hallama (lecteur, Sorbonne Université)

Olessia Kirtchik (chercheur au Centre d’histoire des transformations de l’Université de Vienne)

Tamara Kondratieva

Yauheni Kryzhanouski

Anne Le Huérou (MCF, Université Paris-Nanterre)

Juliette Milbach

Ioulia Podoroga

Valérie Pozner (DR, INHA)

Kathy Rousselet (DR, CERI)

Michel Tissier (MCF, U. Rennes 2)

 Projets financés

→ ANR “Les conséquences de la loyauté forcée” (CALOT)

→ ANR DIGISOV

Partenaires

Centre d’études franco-russe (CEFR)

Centre Aleksanteri (Finlande)

IFEAC

Nos axes de recherche pour 2019-2023

1 - Fronts et frontières d’Empire (16e – 21e siècles)

Cet axe porte sur les frontières de l’empire russe ou de l’URSS et implique donc une dimension transnationale et comparative avec les empires voisins rivaux. L’un de ses fils conducteurs est l’étude de l’élaboration et de l’usage de savoirs entrecroisés : religieux, militaires, diplomatiques, ethnographiques, administratifs.

Les troupes russes sur le front français, [boyau Chanzy Ouest] : [photographie de presse] /
[Agence Rol]

Les pratiques d’échanges matériels et immatériels, de négociations et de communications interculturelles

Les pratiques d’échanges matériels et immatériels, de négociations et de communications interculturelles sont au cœur de plusieurs projets de recherche. Il s’agit notamment d’étudier des sociétés d’empire à travers les relations intra- et intercommunautaires dans un même empire, de part et d’autre de la frontière, ou en diaspora : entre Juifs et Arméniens dans l’Empire ottoman notamment à partir des archives de l’Alliance israélite universelle ; entre Arméniens et Azéris au Caucase russe ; entre les Caucasiens dans l’émigration autour de l’opposition à l’URSS (C. Mouradian). Marie-Karine Schaub, qui étudie la professionnalisation des diplomates au tournant des 17e-18e siècles, s’intéresse aux pratiques de négociation entre pouvoir et élites centrales et locales où se jouent des questions culturelles, politiques, internationales, essentielles pour comprendre aussi la construction de l’empire, à travers la structuration du langage et de pratiques communes permettant le dialogue, au-delà du moment guerrier. Radu Paun, dans un projet sur les États vassaux de l’Empire ottoman situés entre l’empire russe orthodoxe et l’empire des Habsbourg catholique, interroge la notion de communication culturelle entre des parties qui ne parlent pas la même langue, ni ne partagent les mêmes valeurs, d’où des négociations compliquées et des malentendus multiples. L’un des enjeux est d’analyser les pratiques de gouvernement aux frontières de l’Empire ottoman, le transfert et la mise en œuvre d’idées en miroir, le traitement des révoltes. Claire Mouradian projette une comparaison sur les pratiques administratives des trois empires qui se partagent l’Arménie au xixesiècle, à travers la biographie de trois hommes d’État d’origine arménienne, Loris Melikoff en Russie, Melkom Khan en Iran, Nubar Pacha dans l’Empire ottoman (Égypte), réunis au-delà des frontières par une volonté similaire de transformation des empires autocratiques en monarchies constitutionnelles. Des thèses d’Oykü Gurpinar sur la mémoire du génocide des Arméniens à l’école, avec une étude comparative des manuels d’histoire en Turquie, en Arménie et dans la diaspora, et d’Élodie Gavrilof sur la fabrique comparée de l’homo turcicus et de l’homo sovieticus dans les écoles arméniennes de la République turque et de l’Arménie soviétique s’inscrivent également dans cette problématique des négociations et des communications interculturelles, à travers notamment des projets pédagogiques.
Des travaux sur le patrimoine, avec des échanges et des circulations afférentes, se rapportent aussi à cet ensemble de questions. Le projet doctoral d’Ana Cheishvili sur la circulation des collections d’objets caucasiens constituées dans les musées français au fil des missions scientifiques françaises qui se sont multipliées au xixe siècle, a pour enjeu de reconstituer l’itinéraire de ces objets, d’étudier la biographie des « collectionneurs », les échanges avec les « collectionneurs » de l’Empire russe, et enfin l’apport de ces collections à la réflexion sur les transferts culturels et sur l’évolution comparative des sciences sociales aux xixe et au xxe siècles en France et en Russie, et plus largement en Europe. Ketevan Djavakhishvili a entrepris d’étudier pour sa thèse la fabrique du patrimoine géorgien depuis les années 1960, en Géorgie même, en retraçant les enjeux économiques et politiques, et en identifiant les acteurs, les politiques culturelles anciennes et nouvelles, avec leur dimension internationale. Astrig Atamian envisage un autre type d’échanges et de circulations, celle des marchandises de luxe entre l’Union soviétique et la France à partir du commerce du caviar dont l’entreprise Petrossian, fondée par des Arméniens originaires du Caucase, a eu le monopole et dont les archives lui ont été ouvertes.

Le facteur religieux dans l’affirmation et/ou la distinction politique des sociétés d’empire

Le facteur religieux dans l’affirmation et/ou la distinction politique des sociétés d’empire traverse un autre ensemble de projets, qu’il s’agisse du rôle joué par les différentes confessions comme opérateurs de frontières dans les confins orientaux de l’Europe contemporaine, ou au Caucase, du rôle comparé de l’institution ecclésiale arménienne dans les trois empires russe, ottoman et persan au xixe siècle entreprise par Claire Mouradian, comme une étape d’une histoire politique et sociale de l’Église arménienne à l’époque contemporaine tant dans le cadre des empires que de l’État national et en diaspora. Laurent Tatarenko poursuit un projet de cartographie des paroisses du xvie au xviiie s., en particulier en Ukraine. Les recherches de Radu Paun se développent sur deux axes. Le premier concerne les échanges des pays orthodoxes avec le Mont Athos et se propose de cerner les mécanismes et les enjeux de la dévotion. Le deuxième étudie les relations complexes entre les prophéties sur la ruine imminente de l’Empire ottoman et les mouvements anti-ottomans qui se sont produits dans les Balkans aux xvie -xiiie siècles. Elena Astafieva s’intéresse au rapport entre théologie, religion et politique dans la Russie impériale (fin du xviiie  s.-debut du xxe s.) à travers les processus de formation dans le système d’enseignement ecclésiastique du savoir « officiel » de l’Église russe sur « l’hétérodoxie » et sur l’orthodoxie, et de sa diffusion parmi une large population russe orthodoxe. Il s’agit ici de réfléchir à la manière dont ce savoir a été repris et mis en œuvre par le pouvoir impérial dans sa politique à l’intérieur (dans la gestion des « confessions étrangères », comme l’islam, le catholicisme, le protestantisme, etc.) et à l’extérieur de l’Empire, notamment en Palestine et Syrie, où la Russie s’impose comme grande puissance face aux pays européens. Pour la période très contemporaine, Silvia Serrano engagera une recherche sur l’islam en Fédération de Russie (notamment en Volga-Oural) en interrogeant la question du religieux en tant que « service public », à la fois du point de vue des dynamiques sociales et des réponses étatiques à celles-ci. David Abuladzé a engagé une thèse sur l’élaboration des politiques publiques de la Géorgie à l’égard de ses communautés musulmanes depuis l’indépendance, avec l’importance accrue de la question religieuse tant du fait de l’affirmation orthodoxe que des répercussions du contexte international, notamment de la guerre en Syrie dans laquelle certains membres de la minorité tchétchène du pays se sont engagés aux côtés de Daech et contre un allié de la Russie et peuvent revenir radicalisés.

Les savoir-faire guerriers et militaires

Les savoir-faire guerriers et militaires constituent un troisième objet de recherche au sein de cet axe. Masha Cerovic, élue maîtresse de conférences à l’EHESS en 2017, commence à explorer les guerres irrégulières menées par les Cosaques (comparés aux régiments hamidiye de l’Empire ottoman, formés sur leur modèle), et leur utilisation par le pouvoir pour conquérir et gérer les zones frontalières de l’empire, de la fin du xixe siècle à la révolution et à la guerre civile avec les armées rouges. La recherche doctorale de Lina Tsrimova, soutenue par une allocation du Labex Tepsis, analyse la construction de l’image du Caucasien par les militaires russes et l’arsenal de discours justifiant la violence tout au long de la conquête du Caucase, de la fin du xviiie siècle aux années 1860, et l’exode forcé des montagnards musulmans vers l’Empire ottoman. Une autre forme de guerre irrégulière est étudiée par Lusiné Navasartyan dont la recherche doctorale est consacrée aux volontaires arméniens dans l’armée russe sur le front du Caucase peu étudié de la première guerre. Ce projet porte sur la « mythologie » de ces volontaires, embryon de l’armée nationale, dans la reconstitution de l’État arménien. Les violences, fractures, mobilités forcées à la frontière caucasienne des deux empires ottoman et russe sont aussi au cœur des recherches de deux membres du laboratoire. Ainsi, Shivan Darwesh étudie dans sa thèse les migrations des Kurdes Yézidis sur le long xixe s., plus particulièrement vers le Caucase russe, tandis que Burak Oztas étudie la construction d’une nouvelle diaspora tchétchène consécutive aux récentes guerres, qui fait se rencontrer les anciens exilés des guerres du Caucase du xixe s. et ceux des conflits post-soviétiques.

Partenariats

École française de Rome
École française d’Athènes
Centre français de Jérusalem
Centre d’études en sciences sociales du religieux (Césor)
Centre d’Études Turques, Ottomanes, Balkaniques et Centrasiatiques (CETOBAC)
Centre de Recherches Historiques (CRH)
École Pratique des Hautes Études (EPHE)
Haut Collège d’Économie de Moscou
Centre d’Études Franco-Russe (CEFR) de Moscou

2 - Actions et normes. Pratiques sociales et économiques du 17e siècle à nos jours

Le programme de cet axe se concentre sur les dynamiques sociales – stratégies, négociations et capacités d’agir des groupes et des individus, médiatisées par des dispositifs administratifs, juridiques ou normatifs – sur une période de 4 siècles et un espace allant de l’Europe centrale et orientale jusqu’à l’Asie centrale, en passant par la Russie.

Costumes Civils actuels de tous les Peuples connus. / [planches dessinées par Desrais] ; [et par Jacques Grasset de Saint-Sauveur] ; [gravé par Felix Mixelle] ; [notices rédigées par Sylvain Maréchal]

Peu d’actions individuelles ou collectives peuvent s’exercer dans une autonomie absolue envers les institutions. Les institutions, à leur tour, loin de s’imposer aux personnes comme des objets aux contours définis et définitifs, sont plutôt des magmas d’actions individuelles et collectives, tantôt conscientes et concertées, tantôt non intentionnelles et divergentes. Réunis par cette vision partagée, les chercheurs de cet axe en font le fil conducteur de leurs programmes de travail. Appartenant à plusieurs disciplines des sciences sociales, ils s’attachent à repenser les dynamiques sociales sur une période de quatre siècles et dans un espace allant de l’Europe centrale et orientale jusqu’à l’Asie centrale en passant par la Russie. Ils partagent une posture méthodologique dont les points forts consistent à privilégier, en premier lieu, une approche par le bas, avec une prise en compte des apports des études de cas et de la micro-histoire, et, en second lieu, à mobiliser ensemble des outils de l’histoire, la sociologie, l’anthropologie et la géographie. Ils croisent une histoire située et soucieuse des subjectivités avec une analyse macrosociale des régimes et des formes institutionnelles et juridiques adoptées par les différents États qui se sont succédé dans cet espace géographique.

Cette démarche implique une diversification des techniques d’enquête (lecture fine des archives, constitution de bases de données, entretiens et observation participante) et des sources (actes notariés, archives judiciaires et administratives, correspondances privées et politiques, archives de gestion économique des domaines, enquêtes, sources visuelles, etc.).
Cet axe s’organise autour de questions concernant les stratégies, négociations et capacités d’agir des groupes et des individus, médiatisées par des dispositifs administratifs, juridiques ou normatifs. L’objectif est d’éprouver l’hypothèse selon laquelle les processus associés traditionnellement à la résistance, à l’opposition,à l’autonomie et à la subversion seraient autant de phénomènes d’accommodement, d’appropriation, d’incorporation des logiques institutionnelles.

Les chercheurs de l’axe s’interrogent sur l’influence et les répercussions de ces phénomènes sur les normes elles-mêmes, sur leurs interdépendance et interpénétration. Dans un contexte de contraintes institutionnelles, volontiers répressif, ils analysent la notion de tolérance en étudiant les pratiques qui témoignent des écarts normatifs et révèlent la diversité des attitudes permissives : la tolérance comme outil pragmatique de surveillance, comme laxisme induit par l’impuissance, comme laisser-faire produit par la corruption, ou enfin comme valeur et pratique d’acceptation de l’altérité. L’étendue chronologique de l’axe doit permettre de prêter une attention particulière à la transmission de pratiques sociales, qui se déclinent dans des registres formel, informel ou rituel.

Institutions et pratiques juridiques et économiques

L’étude des institutions et pratiques juridiques et économiques comprendra des enquêtes sur des pratiques économiques illégales, qu’elles relèvent de la mobilisation foncière alors que la vente de la terre est interdite, aux 17e-18e siècles (Anna Joukovskaia), du vol de la propriété socialiste sous Staline (Juliette Cadiot), ou de la production agricole privée et de l’échange non régulé en Asie centrale dans les années 1960-1980 (Isabelle Ohayon), ainsi qu’une histoire longue des régimes de propriété et des modes d’exploitation de la terre à l’Est du continent européen au xxe siècle (Marie-Claude Maurel).

Pratiques familiales et sexuelles, genre et ordre moral

Des recherches sur les pratiques familiales et sexuelles, le genre et les représentations de l’ordre moral s’articuleront autour d’enquêtes sur le divorce et le remariage dans une société chrétienne orthodoxe au 18e siècle (Anna Joukovskaia) ; les trajectoires et les stratégies éducatives dans un grand lignage russe, les Golitsyne, au xviiie siècle (Wladimir Berelowitch) ; les répercussions de la transformation de la famille socialiste sur les pratiques parentales (Peter Hallama) ; les subjectivités homosexuelles durant la période soviétique tardive à la charnière d’autres identités – soviétique ou nationales (Arthur Clech) ; et la recomposition des liens familiaux et des rôles de genre en Géorgie suite au déclassement provoqué par la chute de l’URSS à travers les trajectoires migratoires féminines (Maroussia Ferry).

Projets

→ Projet de préfiguration TEPSIS « Les livres d’enregistrement d’actes : une source nouvelle pour l’histoire sociopolitique, institutionnelle et économique de la Russie à l’époque moderne », 2017-2019 (Anna Joukovskaia, Fabrice Demarthon)
→ Projet de préfiguration TEPSIS « Économie rituelle en socialisme : production agricole privée et économie des prestations rituelles en Asie centrale, 1960-1980 », 2017-2018 (Isabelle Ohayon)
→ Organisation d’un colloque international en langue anglaise du 2 au 3 février 2017 « Homosexualité communiste (1945-1989) », Université Paris Créteil – EHESS (Arthur Clech)
→ Organisation d’une journée d’étude, le 8 novembre 2017 : « Investir les rituels funéraires : politique et économie de la mort en Asie centrale xxe et xxie siècles », (EHESS, MAE Paris X-Nanterre) ; Organisation d’un workshop international consacré à l’économie rituelle en Asie centrale sur la longue durée, xixe-xxie siècles, automne 2018, suivi d’une publication collective (Isabelle Ohayon)
→ Organisation d’une journée d’étude internationale « Masculinités socialistes. Les hommes en Europe de l’Est – ruptures, transformations et continuités au xxe siècle », organisée par le CERCEC, avec le soutien du Labex EHNE et de la FMSH, Paris, 15-16 septembre 2017 (Peter Hallama)
→ Participation au Congrès du Study group on Eighteenth century Russia, Université de Strasbourg, 6-11 juillet 2018 : panel « Profiles of the Administrator » (Anna Joukovskaia) ; communication « The Koch brothers: Christoph-Wilhelm and Conrad-René, teachers of the Russian aristocracy in the time of Catherine the Great » (Wladimir Berelowitch)

Partenariats

Réseau FONCIMED, Thessalonique (Marie-Claude Maurel)
Zentrum für Zeithistorische Forschung, Potsdam (Peter Hallama)
Institut historique allemand de Moscou (Wladimir Berelowitch)
Université Paris-Créteil (Arthur Clech)
Labex EHNE (Peter Hallama)
FMSH (Peter Hallama)
Haut Collège d’Économie de Moscou
CEFR de Moscou
Maison de l’Archéologie et de l’ethnologie, Université de Paris-X Nanterre

3 - Sciences et techniques dans les arts du gouvernement

L’objectif de cet axe est de porter le regard sur les politiques des sciences, des techniques et des savoirs pour réexaminer les arts singuliers du gouvernement et les expressions de la domination dans l’espace soviétique et post-soviétique.

Graphisme : Guillaume Lavezarri pour le CERCEC

Afin d’enrichir l’analyse du pouvoir et du politique à la période communiste et postcommuniste, l’objectif de cet axe est de porter le regard sur les politiques des sciences, des techniques et des savoirs pour réexaminer les arts singuliers du gouvernement et les expressions de la domination dans l’espace soviétique et postsoviétique. Si les sciences et techniques dans cet espace connaissent des évolutions connectées aux innovations de leur époque, les usages sociaux et politiques qui en sont faits méritent toute l’attention des chercheurs pour voir comment s’y élaborent dans leur matérialité des pratiques d’influence et des subjectivités singulières.

Deux problématiques transverses réunissent les travaux menés au sein de cet axe. La première concerne l’élaboration des politiques scientifiques et techniques. Il s’agit de s’intéresser aux interactions entre les administrateurs, les experts et le public pour étudier les dynamiques institutionnelles et les reconfigurations politiques qui s’élaborent au fil des controverses et des débats dans différents domaines d’activité scientifique et d’innovation technique. Un intérêt particulier sera accordé à l’insertion de ces politiques dans des dynamiques transnationales par des jeux de circulation et d’échange avec des institutions et des partenaires internationaux, que ce soit durant la guerre froide ou après l’ouverture postsoviétique.

La seconde problématique porte sur les pratiques ordinaires, les appropriations, les usages et les détournements des sciences et des techniques dans la société. On ne peut pas travailler sur les politiques des sciences et des pratiques de pouvoir sans situer au cœur de l’enquête les pratiques des citoyens confrontés à l’usage et à l’appropriation de nouveaux dispositifs scientifiques et techniques tout au long du xxe et au début du xxie siècle. Il s’agira ici de saisir les dynamiques sociales face à l’innovation en repensant le rapport entre autoritarisme et inventivité. L’attention aux dynamiques transnationales permettra d’explorer des mutations qui concernent les espaces soviétique, postsoviétique et européen et qui touchent par exemple les rapports entre expérience et connaissance dans le contexte de remise à plat des paradigmes provoquée par la fin des régimes socialistes.

Pour aborder ces questions transversales, trois chantiers de recherche sont envisagés afin d’apporter des réponses à partir de l’analyse d’objets et de terrains différents.

Techniques de communication, politiques des savoirs et pratiques d’influence

Un premier ensemble de travaux concerne les sciences et les techniques du comportement humain, du social et les pratiques de communication. Les recherches porteront sur les politiques d’innovation dans le domaine des nouvelles techniques de communication et d’information, depuis les postes, le téléphone et le télégraphe soviétiques étudiés par Larissa Zakharova jusqu’au développement d’Internet et de ses usages dans la Russie contemporaine analysés par Françoise Daucé. La réflexion portera sur les transformations sociales et politiques découlant de ces innovations techniques, notamment sur leurs usages par les professionnels de la communication, les experts de l’influence et des comportements humains qui recourent à la psychologie sociale ou au marketing, étudiés par Yves Cohen. Une attention particulière portera sur les usages répressifs et coercitifs de ces outils techniques par les forces de maintien de l’ordre (Perrine Poupin).

Politique des sciences humaines et sociales

Un ensemble de travaux portera sur les transformations et les mutations observées dans le domaine du savoir académique et scientifique. Carole Sigman étudiera les enjeux des politiques universitaires et des réformes académiques post-soviétiques. Des réflexions sur l’évolution des paradigmes des sciences économiques depuis la fin de la période soviétique jusqu’à nos jours seront proposées par Olessia Kirtchik. Dans le domaine des sciences sociales, Anne Madelain conduira des travaux sur les usages politiques de la science historique dans l’espace post-yougoslave. Ces politiques des sciences seront examinées tant du point de vue de leur élaboration politique que de leur adaptation et appropriation par les acteurs du monde universitaire et scientifique. Une attention particulière sera portée aux circulations et transferts internationaux des savoirs, grâce aux travaux de Sophie Coeuré, Natalia Pachkeeva et Natalia Avtonomova.

Gouvernement des sciences, des techniques et de l’environnement

Un troisième espace d’investigation concernera le déploiement et le fonctionnement des sciences exactes (y compris biomédicales) et des techniques en URSS, ainsi que leur rapport à l’environnement. Il s’agira de saisir des modalités de la politisation des sciences, des techniques et de l’environnement, ainsi que des effets produits par les sciences et les techniques sur la politique et la société. L’objectif sera d’évaluer la place et le rôle des sciences et des techniques dans les modes de gouvernement en Union soviétique (Larissa Zakharova, Grégory Dufaud). Une attention particulière sera portée à des formes d’engagement des chercheurs et des ingénieurs avec ce qu’ils considèrent comme sciences et techniques socialistes. Plusieurs projets portent sur la question environnementale en Russie-URSS, dans la continuité de l’ANR franco-allemande « EcoGlobReg » (2014-2017) qui réunit Marc Elie, Laurent Coumel et Paul Josephson. Ils étudient l’émergence de technosciences, notamment la pédologie pendant et après la guerre froide, les projets de géo-ingénierie et la vision technocratique de la nature des cercles dirigeants et de certains milieux écologistes, et enfin le déploiement des controverses dans des arènes différentes.

Projets

→ Projet collectif financé par le Labex Tepsis, 2016-2018 (L. Coumel, G. Dufaud, M. Elie, L. Zakharova) :  « Gouverner la science, gouverner par la science. Sciences et techniques en Union soviétique (1945-1991) ». Son propos est de réinterroger la place des sciences et des techniques dans les systèmes collectivistes au xxe siècle, à la fois comme objet et comme outil de gouvernement.
→ Projet de recherche Tepsis de Marc Elie : Histoire transnationale de science pédologique durant la guerre froide
→ Projet ANR coordonné par Françoise Daucé : « Les résistants du net. Critique et évasion face à la coercition numérique en Russie » (2018-2021) consacré à l’étude des arts du contournement des professionnels du web face aux nouvelles régulations juridiques et techniques de l’internet russe

Partenariats

Centre de recherches historiques
CERMES3
Centre Alexandre Koyré
Réseau universitaire de chercheurs en histoire environnementale
Institut d’histoire et civilisation est-européenne, université de Tübingen (Allemagne)
Telecom Paris Tech
Institut des sciences de la communication du CNRS
Haut Collège d’Économie de Moscou
CEFR de Moscou

4 - Violence et justice pénale dans des sociétés en recomposition (20e-21e siècles)

Les travaux de l’axe 4 s’intéressent aux reconfigurations des relations entre États et sociétés dans des pays ayant connu des bouleversements violents, conflits armés essentiellement, mais aussi répressions policières ou transformations économiques radicales.

Témoin, ex-prisonnière de Jagala, M. Mashova, venue de Tchécoslovaquie témoigner au procès de Tallinn (mars 1961).

Si les espaces (Europe de l’Est, Union soviétique et pays de l’ex-URSS) ainsi que les périodes envisagées (post-première et seconde guerre mondiale, années 1990-2000) sont différents, ces terrains présentent en revanche un certain nombre de points communs. Dans ces sociétés fracturées, où les rapports sociaux se redéfinissent, l’autorité de l’État se déploie selon de nouvelles modalités, souvent de manière autoritaire (qu’il s’agisse ou non de régimes communistes). Les travaux réunis au sein de cet axe s’intéressent plus particulièrement aux acteurs individuels et collectifs de ces recompositions, dans toutes leurs différences, à leurs trajectoires et à leurs pratiques. Ils se déploient au sein de deux sous-axes.

Reconfigurations du monopole de la violence étatique

Les situations de sortie de conflits sont particulièrement propices à la renégociation des frontières entre État et société. D’un côté, les États en voie de « reconstruction » cherchent à recouvrer pleinement le monopole de la violence, par la répression (épuration, pacification militaire et policière), mais aussi par l’intégration (anciens combattants). En impliquant des populations dans leurs pratiques de répression, ils provoquent ou instrumentalisent des antagonismes réels. D’un autre côté, des groupes de citoyens cherchent à prendre en charge ces mêmes fonctions étatiques, dans une logique de concurrence ou encore de complémentarité et d’appui à l’action étatique. L’axe saisira l’ensemble de ces dynamiques, souvent génératrices de nouvelles violences, à partir du cas des procès des criminels de guerre au sortir de la seconde guerre mondiale, des politiques judiciaires et extra-judiciaires de lutte contre les insurrections dans l’après-guerre, des vétérans et combattants des conflits soviétiques et postsoviétiques, des groupes vigilantistes et des forces de citoyenneté policière en Russie et en Ukraine contemporaines.

Redéfinition des rapports sociaux et justice

Ces reconfigurations sont indissociables d’une redéfinition des rapports sociaux dans des sociétés bouleversées, que les travaux de cet axe abordent en particulier sous l’angle des notions de loyauté et de justice. Il s’agit de voir tout d’abord les différentes modalités de « mise en procès » du passé, à travers l’élaboration de différents récits (vilains et héros de la guerre, crimes du communisme) mais aussi de procédures concrètes : jugement des criminels de guerre, politiques de lustration, procédures de réhabilitation, restitutions de biens nationalisés ou compensations financières. L’articulation entre la mémoire de la seconde guerre mondiale et celle du communisme est, dans toute la zone (Ukraine, Biélorussie, Pologne, États Baltes), particulièrement importante. Il s’agit d’autre part d’observer la manière dont se fait la réintégration de certains groupes (retour des déplacés forcés et des prisonniers des camps en Ukraine et dans les républiques Baltes, retour des Russes émigrés après la Révolution, etc.), impliquant une confrontation des mémoires et une redéfinition des critères de la vie en commun. Cette « vie en commun » renouvelée passe également par différentes modalités d’implication des acteurs dans l’exercice de la justice ou différentes formes de contrôle citoyen (Union soviétique des années 1960, lutte contre les violences policières en Russie actuelle). Ce projet porte une forte ambition comparative, puisqu’il s’agit non seulement de faire dialoguer historiens et spécialistes du monde contemporain, mais aussi de s’ouvrir aux comparaisons avec d’autres aires géographiques.

Projets

→ ANR Jeunes chercheurs : « WWIICrimesOnTrial, 1943-1991 » (Vanessa Voisin)
→ Projet du Fonds de préfiguration du Labex Tepsis « Témoignages de guerres dans les aires soviétiques et post-soviétiques. Regards croisés : Afghanistan (1979-1989) / Tchétchénie (1994-2009) » (Anna Colin-Lebedev, Cloé Drieu et Elisabeth Kozlowski)

Partenariats

Institut des sciences sociales du politique (ISP), Paris Nanterre
Centre d’Études Turques, Ottomanes, Balkaniques et Centrasiatiques
Centre Chine de l’EHESS
Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH)
Fonds russe pour les sciences humaines (RGNF)
Fondation Mémoire de la Shoah
Centre Marc Bloch de Berlin
Labex Création, Arts et Patrimoines (CAP)
Haut Collège d’Économie de Moscou
Centre d’études franco-russe (CEFR) de Moscou
Université Libre de Bruxelles

5 - Création, diffusion et réception des biens culturels dans l’espace impérial, soviétique et post-soviétique

Cet axe de recherche est consacré à l’étude des conditions de création, diffusion et réception des arts et cultures visuels, sonores et littéraires durant les périodes impériale, soviétique et post-soviétique.  

L’Opéra russe, suite d’auditions : [afche] ; M. Simas . © Ville de Paris / Bibliothèque Forney

Il s’intéresse notamment aux industries culturelles (leurs cadres, leurs valeurs, leurs commanditaires, leurs marginaux, etc.), au statut des créateurs, des intermédiaires et des destinataires à travers l’étude de parcours individuels et collectifs, aux discours politiques, aux normes explicites et implicites, aux mécanismes de censure et de constitution des pans d’opinion. L’analyse des formes et supports se conçoit dans une perspective enrichie de l’apport des démarches intermédiales (musique et cinéma, textes et images dans l’illustration, etc.). Il s’agit de replacer les productions et pratiques culturelles dans une perspective historique et internationale.

L’axe est ouvert aux périodes impériale, soviétique et post-soviétique et aux continuités et ruptures entre ces périodes. La question des transferts (culturels, techniques, de formats, de savoir-faire professionnels) est aussi présente à l’échelle nationale (ville/campagne), entre les républiques soviétiques, les pays du bloc de l’Est, et avec les pays occidentaux et orientaux. Ce travail vise notamment à repenser les catégories qui ont longtemps servi d’entrées à l’analyse d’un art soviétique sous contrainte mais qui sont remises en question depuis le début des années 2000 : art officiel versus non officiel ou indépendant, avant-garde versus réalisme socialiste, Ouest versus Est, individu versus collectif, etc. Cet axe de recherche se nourrit de méthodes, sources et concepts empruntés à différentes disciplines : histoire sociale, économique et politique, histoire des arts, des sciences et des techniques, anthropologie, sociologie, esthétique, science politique. Il donne à voir, par exemple, une histoire institutionnelle des arts inscrite dans son contexte politique.

Cet axe bénéficie des apports du séminaire collectif « Cultures visuelles : Histoire croisée du regard soviétique » organisé à l’EHESS depuis 2015 qui constitue un lieu nouveau de discussion des recherches portant sur les arts et industries visuelles à l’époque soviétique. Il s’inscrit dans le prolongement d’un ensemble de recherches consacrées au cinéma soviétique (V. Pozner, I. Tcherneva, M. Golik, V. Voisin) et à l’iconographie soviétique (G. Ritterporn). Dans le domaine de l’édition, des travaux récents viennent renouveler les recherches portant sur la littérature pédagogique soviétique et ses usages de l’image (C. Pichon-Bonin) ou sur les transformations de l’édition post-soviétique (B. Ostromooukhova). Dans le domaine de la musique, l’histoire du disque et de l’enregistrement proposée par N. Moine, fondée sur la collecte de nouvelles sources archivistiques, offre de belles perspectives dans le domaine de l’histoire culturelle de la période soviétique. Pour la période post-soviétique, les travaux de Yauheni Kryzhanouski sur le rock viennent reposer la question de la censure. La dimension transnationale des échanges artistiques est prise en compte dans l’ensemble de ces travaux, elle est plus précisément au cœur des recherches de J. Milbach et I. Podoroga. La constitution de cet axe nouveau « Création, diffusion et réception des biens culturels dans l’espace impérial, soviétique et post-soviétique » au CERCEC vient structurer un ensemble de recherches particulièrement innovantes sur ces questions.

Projets

→ Séminaire collectif « Cultures visuelles : Histoire croisée du regard soviétique », co-animé par Gabor Rittersporn, Juliette Milbach, Cécile Pichon-Bonin, Valérie Pozner, Irina Tcherneva, Vanessa Voisin
→ Projet de préfiguration du LabEx Tepsis « Sons d’empire. Histoire du disque et de l’enregistrement de la fin de l’empire russe à la fin de la période soviétique » (Nathalie Moine)